Marchés matures, territoire commercial saturé, montée du e- et du m-commerce : l’implantation des points de vente doit s’adapter à la nouvelle donne, et trouver rapidement de nouvelles réponses à des questions structurantes    :

  • Comment optimiser le portefeuille de marques-enseignes, entre pertinence  pour la cible-clients et massification   ?
  • Quelles règles pour une meilleure segmentation des types de magasins  ?
  • Dans quelle direction doit évoluer le back-office, pour soutenir ces changements ?
  • Comment utiliser la palette de solutions contractuelles, comme levier de développement ?

Le grand écart des stratégies d’expansion

En novembre 2015, la Société Générale a inauguré  le bal d’une série de rationalisations dans le secteur banque-assurance, en annonçant la fermeture de 20% de ses agences d’ici à  2020.

Parmi les acteurs de la distribution, Gap va supprimer 25% de ses points de vente aux Etats-Unis. Best Buy s’est retiré du Canada, tirant   le rideau sur ses 66 emplacements ; Target fait de même : 133 magasins effacés. Les grands magasins Macy’s reclassent les 1300 salariés des 14  sites dont l’enseigne se sépare aux USA. Plus près de chez nous : au sein de Vivarte, l’enseigne La Halle a entrepris de se désengager d’un tiers de son parc.

D’autres opérateurs poursuivent au contraire leur expansion : Burger King déclare vouloir bondir de 20 à 400 restaurants sur le sol français. À l’international, Inditex, propriétaire de Zara, a ouvert en moyenne

400 implantations par an, chacune des cinq dernières années.

En 2014, puis en 2015, Monoprix a ouvert environ 70 unités de vente dans l’Hexagone ; Hexagone où, pour sa part, Kiko est passé en moins de cinq ans de 0 à pas moins de 130 boutiques.

Si les réponses apportées par les acteurs divergent, la question centrale de la taille et de la configuration du parc magasins, elle, s’impose bien au cœur des agendas stratégiques des commerçants.

Une période-pivot pour les enseignes

Le paysage commercial français et occidental s’est densifié à vitesse accélérée depuis les années cinquante ; les chaînes organisées ont laminé les mom and pop stores, couvrant le territoire, des centres- villes aux périphéries, des grandes métropoles aux zones semi-rurales. La rapidité et la préemption des zones de chalandises l’ont emporté quelquefois sur le rendement : selon les enseignes, 10% environ du parc est constitué de magasins déficitaires ou en équilibre instable.

La saturation de l’espace marchand est allée  de pair   avec   le   double   plafonnement   du   taux de pénétration des biens et des quantités consommées par habitant, si bien que la rentabilité au mètre-carré des ouvertures les plus récentes s’est dégradée, et que les magasins d’une même marque peuvent se cannibaliser entre eux.

L’outil commercial parvient donc à une surcapacité.  En  outre,  est  arrivé  l’effet   ciseaux   défavorable  du e-commerce (même s’il ne  pèse  encore  que  7% de l’activité de détail) et de la crise de 2008, particulièrement redoutable pour les secteurs du non- alimentaire. La population bouge, se concentre dans les villes, déjouant parfois les schémas d’expansion des enseignes : les 15 plus grosses agglomérations abritent 44% de la population, contre 36% trente ans auparavant.

Toutes les composantes sont donc réunies pour interroger et chahuter les « anciens » critères qui guidaient le développement commercial.

Marques-enseignes : cibler ou massifier

La première question, d’ordre marketing, pousse à challenger le portefeuille de marques- enseignes des distributeurs. Suivant l’impulsion d’un Tesco, les opérateurs des GMS ont privilégié une architecture de marque-mère transversale (Casino, Intermarché), adossée à des marques- filles identificatoires du format (hyper, super…) ; jusqu’à ce que Carrefour, craignant l’hégémonie et le brouillage perçus par le consommateur, n’efface la marque principale derrière les marques-prénoms (Market, City …) – les produits MDD portant toujours la marque Carrefour.

En distribution spécialisée, c’est le secteur textile qui a été moteur en  déployant  un  portefeuille  de marques-enseignes nettement différenciées, de manière à adapter finement la proposition commerciale à la cible visée – quitte à assumer des synergies portant uniquement sur le back-office, et pas sur la communication, par exemple. Inditex – encore lui – au-delà de Zara, exerce sous les marques Bershka, Pull & Bear, Massimo Dutti, etc ; H&M fait de même avec COS, & Other Stories, Cheap Monday…

Il n’existe pas de règle définitive en la matière, pour choisir entre ces deux architectures de marques. L’important est de trouver l’équilibre entre la taille critique du réseau sous chaque marque, les surcoûts générés par la non-mutualisation, et la réponse aux insights spécifiques du cœur de cible clients. Le secteur de la distribution est en tout cas sorti, hélas, des facilités du déploiement d’un standard unique et mono-marque de points de vente.

Une segmentation complexe mais vitale

Les marques-enseignes,  en  fin  de  compte,  ne  sont que les étendards au-dessus de magasins différenciés par leur format, et donc par leur équation économique. En distribution, le business-model est étroitement lié à la surface et au mode de vente (assistée ou libre-service). Or ces formats de magasins suivent, eux, une tendance nette à la diversification : flagships ostentatoires, unités de taille moyenne ou encore satellites dédiés au retrait de marchandises ou à l’’exposition partielle de la gamme.

L’optimisation de la « clusterisation » du front de vente est l’un des enjeux majeurs des chaînes organisées, pour les cinq prochaines années. La montée en charge du canal digital va secouer puissamment la volumétrie et la composition des parcs magasins, mais de manière plus subtile toutefois qu’une simple réduction brutale de pans entiers de « bouclards ».

L’inflation des loyers et l’évolution de la compétition comme de la consommation obligent les acteurs à écarter diamétralement les formats commerciaux : plus XXL d’une part (Grandes Surfaces de Bricolage, Primark, villages Décathlon,…) ; plus ciblés et plus urbains d’autre part, avec le développement d’une nouvelle proximité qui, grâce au digital, cherche à échapper aux seuls achats de dépannage (Sephora Rivoli, Décathlon Englos).

Souvent expérimentale et héritée du passé, la configuration à date nécessite une refonte multi- critères profonde, intégrant l’évolution des zones de chalandises et de la concurrence, les coûts d’approche logistiques, les spécificités du compte d’exploitation de chaque cluster… mais également, bien entendu, l’effet du web : éliminateur de sites faibles, ou bien générateur d’un effet miroir entre click et mortar. Loin de s’opposer systématiquement, les deux en arrivent parfois à se compléter ; les loueurs de voitures savent bien que la notoriété spontanée occasionnée par la présence d’une agence physique décuple les transactions internet sur la zone. Le secteur  B2B,  d’ailleurs,  auxquelles  appartiennent majoritairement ces loueurs, possède parfois un cran d’avance sur le B2C en matière de segmentation de réseau marchand.

L’arrière-boutique fait aussi sa mutation

Cette rationalisation et ce réagencement des implantations front-office ont naturellement des conséquences importantes, notamment sur le plan social, qu’il convient d’intégrer très en amont dans la réflexion. Cette dernière devient, de fait, hautement stratégique et complexe, en mêlant des aspects commerciaux, RH, logistiques…sur un plan national voire international.

Segmenter un parc ne produit des résultats pérennes, que si les systèmes d’information de l’enseigne s’adaptent, pour piloter des modules d’assortiments différenciés et mesurer des performances par cluster.

La gestion d’un parc magasins protéiforme pousse à explorer de nouveaux types de contrats . Darty et  la Fnac utilisent désormais la franchise comme levier d’expansion ; le terme générique de « franchise » recouvrant en réalité toute une palette de solutions possibles.

Certains découvrent les vertus de la commission- affiliation, de la gérance libre ou salariée, voire du statut d’agent commercial ; ou des joint-ventures, contraignantes, mais accélératrices dans certaines configurations à risque. La créativité du business model va de pair avec la souplesse des types de contrat entre le mandant et ses opérateurs.

Enfin, le schéma  directeur  Supply  Chain  doit être repensé en parallèle du schéma d’expansion commerciale, dans une logique de hard-discounters (un entrepôt = une grappe de magasins). En la matière, les approches évoluent rapidement : projets de méga-sites de stockage en food ; développement d’entrepôts et de flotte de camions multi-catégories de produits, multi-températures, multi-formats de magasins.

Le transport bénéficie aujourd’hui de conditions favorables, avec un baril de pétrole en quasi « promotion permanente ». Mais cela ne durera pas, et les contraintes de toutes natures – réglementaires, sociales, économiques, écologiques – vont rendre cruciale la maîtrise des flux physiques. Les grandes manœuvres lancées par l’ensemble de la filière (la Poste, les messageries, Amazon…) laisse augurer d’un futur proche où les fonctions supports évolueront aussi vite que le front de vente.