La « Digital Workplace » est un concept aujourd’hui florissant en entreprise. Elle consiste à remplacer des moyens bureautiques et de communication vieillissants pour offrir aux collaborateurs un ensemble de fonctionnalités et services à l’état de l’art du digital, et mettre ainsi en place le socle indispensable à l’entreprise pour accomplir sa mue digitale.
Simple sur le principe, la mise en place opérationnelle de la Digital Workplace s’avère néanmoins délicate, et les enjeux ne sont pas les mêmes en fonction de l’approche projet retenue !
Petit tour d’horizon des différents cas de figure et des enseignements à tirer.
Une approche « projet IT » trop limitative
Le premier réflexe est de considérer les projets « Digital Workplace » comme intrinsèquement informatiques, et d’en faire un projet porté à 100% par les DSI.
Les DSI sont les interlocuteurs naturels des éditeurs de solutions, eux-mêmes premiers promoteurs de la Digital Workplace, comme l’illustre l’évolution du marché vers des offres :
- Packageant un ensemble toujours plus large d’outils allant de la bureautique et la messagerie jusqu’au au réseau social d’entreprise, en passant par les outils collaboratifs et les espaces de stockage personnels,
- De plus en plus « cloud », pour répondre à des enjeux économiques (coût à l’usage, déport des charges et coûts liés à l’infrastructure matérielle, etc.) comme de fluidité d’accès (« anytime, anywhere, any device »)
- Et adaptables à chaque situation d’usage de l’utilisateur.
Le point de vigilance réside dans le caractère assez structurant pour les DSI de l’adoption de telles solutions, qui parfois prend le pas sur la recherche du bénéfice utilisateur.
Prenons l’exemple de solutions « cloud » telles qu’Office 365 de Microsoft, ou encore Google Apps.
Pour une DSI historiquement structurée pour héberger, exploiter et maintenir des services de type messagerie, espaces documentaires, etc, leur adoption pose des vraies questions en termes :
- D’organisation de l’exploitation : évolution drastique des cycles de release éditeur, pérennité des certains postes (administrateurs, techniciens, voire même support IT amené à s’alléger considérablement)
- Et d’évolution de compétences des équipes IT: évolution de la nature des interventions, part croissante des demandes d’applications mobiles, etc.
Bon nombre d’entreprise élaborent ainsi des business cases de Digital Workplace fondés sur des critères d’économie IT et d’amélioration de la productivité individuelle moyenne. Puis, elles conduisent le projet avec deux priorités logiques :
- Mettre l’énergie sur les volets techniques, migration et déploiement, et conduire du changement auprès des équipes IT,
- Sécuriser la prise en main des nouveaux outils par les collaborateurs pour les rendre individuellement opérationnels.
Le bénéfice pour l’entreprise c’est effectivement de disposer désormais du socle de solutions collaboratives et d’avoir aligné les compétences et l’organisation des équipes IT sur ce nouveau modèle.
Le risque dans ce cas de figure, c’est de ne pas donner suffisamment de sens aux utilisateurs et de rater la cible de diffusion des usages collaboratifs et sociaux par manque de réelle conduite du changement.
Cela peut se traduire par :
- Une utilisation timide des fonctionnalités des nouveaux outils par les utilisateurs,
- Une réplique à l’identique des pratiques du passé ! C’est notamment le cas pour la migration « telles quelles » des anciennes bases documentaires dans de nouveaux espaces collaboratifs…
- Une frustration des utilisateurs devant la « promesse » d’outils collaboratifs et sociaux dont ils appréhendent finalement mal l’usage collectif.
Cette approche projet IT fournit bien le socle indispensable, mais présente un impact limité en termes de transformation.
Une approche « transverse » parfois intimidante
D’autres font d’emblée de la Digital Workplace un projet d’Entreprise, et en confient la responsabilité à un binôme DSI / Direction transverse (DRH, Direction de la Communication voire Chief Digital Officer).
On part ici du principe que le socle collaboratif et digital ne peut pas être uniquement technologique, mais doit nécessairement porter sur les pratiques transverses de l’entreprise, RH et communication au premier chef.
L’enjeu dans ce cas est double :
- assurer une certaine universalitéen embarquant l’ensemble des collaborateurs dans l’expérience digitale, même si l’on adoptera une approche segmentée pour la définition des services,
- faire comprendre et adopterles usages collaboratifs au travers d’une communication et d’une conduite du changement adaptées.
Le bénéfice pour l’entreprise est de faire passer un message fort et clair sur la transformation digitale en marche et commencer à la tangibiliser par la mise en œuvre des outils.
Mais ce cas de figure n’est pas aussi idyllique qu’on pourrait le croire. Le risque, c’est en effet que l’ambition se heurte à l’ampleur des chantiers à mener de front, et l’on peut se retrouver si l’on n’y prend garde coincé au milieu du gué avec des résultats insuffisamment tangibles pour entretenir la dynamique :
- Poursuite d’un objectif de taux d’équipement – en devices mobiles par exemple – avant de pouvoir réellement traiter des contenus et services ciblés et à réelle valeur ajoutée,
- Difficulté à couvrir tout le spectre de la gouvernance digitale: sécurité et conformité liés aux usages collaboratifs et sociaux, valorisation et « validité » de l’information entre l’intranet, le réseau social d’entreprise et les espaces collaboratifs, bonnes pratiques en termes de modération et animation de communautés, etc.
- Peur d’ouvrir la boîte de Pandore en termes de pratiques RH: modalités de travail et leur traduction contractuelle, place laissée à l’initiative collaborateur et au « personal branding » dans le modèle, impact sur le management d’un renversement de paradigme (manager dépassé par ses collaborateurs en termes de maîtrise des sujets), etc.
Cette approche transverse inscrit dans le marbre la transformation de l’entreprise, mais peine à lui donner corps.
Tester et apprendre directement avec des métiers
Au fond, si c’est si compliqué de réussir un projet de transformation interne, pourquoi ne pas simplement tout miser sur la transformation digitale côté « front-office » / clients ? Ce sont des initiatives visibles, au retour sur investissement plus facilement mesurable, et menés avec des acteurs métiers (marketing, relation client, commerce voire après-vente) de surcroît plus appétants vis-à-vis du digital.
En réalité, loin d’être antagonistes, les deux types d’initiatives forment un solide alliage au service de la performance de l’entreprise. La Digital Workplace vient se nourrir de la maturité développée dans le cadre des programmes digitaux clients par les métiers front-office et les mettre en situation de « champions » naturels pour ouvrir la voie, montrer l’exemple et entraîner les autres dans l’adoption des usages collaboratifs et sociaux.
Cela dit, il serait réducteur de considérer que seuls les métiers les plus proches des clients auraient développé une réelle maturité sur le digital et le collaboratif, et d’autres activités peuvent souvent venir compléter ce panel (Recrutement, Achats, Intelligence économique, etc.).
Quoi qu’il en soit, il existe bien un troisième type d’approche : mettre en œuvre et apprendre avec un nombre limité de métiers pour donner rapidement des résultats probants et étendre ainsi progressivement à d’autres.
- Il ne s’agît pas simplement de mener une phase pilote, mais bien d’appliquer un mode « test & learn » sur de premiers îlots métiers en conditions réelles d’activité. L’équipe projet est alors immergée au sein de l’équipe métier, l’accompagne pour identifier les opportunités, adapter les services et mesurer la valeur.
- Les success stories ainsi générées en termes d’animation des équipes, de partage de connaissance, de fluidification des échanges internes et externes, de co-construction au sein de communautés, d’usages et services métiers mobiles, etc. seront valorisés au travers de la communication projet, mais surtout inspireront les autres par viralité.
Les bénéfices pour l’entreprise apparaissent évidents : rendre rapidement concrets les apports du digital en interne en prouvant par de réels succès métiers ce qu’une classique démarche « top-down » aurait peiné à faire, optimiser l’investissement en termes d’accompagnement en se fondant par ailleurs sur une démarche parfaitement alignée avec les valeurs du digital.
Les risques existent, bien évidemment :
- Décalage entre l’ambition de « test & learn » et la capacité de l’équipe projet à casser le mode de fonctionnement traditionnel MOA/MOE ou à travailler en mode réellement agile,
- Insuffisante préparation amont : le mode « test & learn » ne fonctionne que si les outils de la Digital Workplace sont déjà réellement opérationnels,
- Arrêt de l’accompagnement après les premières success stories, alors que les choses sérieuses commencent pour l’ensemble des autres métiers…
Cette approche « test & learn » donne des résultats concrets, mais n’aura que les effets d’une opération coup de poing si elle ne s’inscrit pas dans une démarche systémique.
And the winner is… une approche composite !
Au final, vous l’aurez compris, un projet de Digital Workplace réussi va aller piocher les ingrédients du succès dans les trois approches projets décrites ci-dessus.
Tout en sécurisant la composante technologique, il devra faire la part belle à la proximité et l’accompagnement des métiers car c’est principalement au travers de réussites terrains marquantes et créatrices de valeur (ou d’économies) que la Digital Workplace s’imposera.
La démarche projet idéale comporte donc trois volets, menés idéalement de manière quasiment concomitante :
- Mettre en capacité
- Une approche pragmatique de mise en place des outils et devices et de mise à niveau de l’infrastructure notamment réseau pour assurer la qualité de service,
- Un accompagnement des équipes IT dans leur transformation pour s’adapter aux nouvelles offres et nouveaux concepts,
- Une communication qui permette de comprendre le sens, des matériels d’auto-apprentissage fondés sur les outils du digital (vidéos, e-learning) pour maximiser l’efficacité individuelle.
- Installer les usages génériques
- Conduire le changement en s’appuyant notamment sur des relais locaux installant par îlots autour d’eux leur maîtrise des solutions,
- Capitaliser sur les early adopters ainsi élevés, les animer en tant que communautés pour qu’ils participent de la diffusion des usages (reverse mentoring, etc.),
- Fournir les bases communes transverses de gouvernance permettant à chacun de comprendre comment bien utiliser les outils en communs et ainsi harmonieusement développer les usages.
- Tester, apprendre et adopter
- Identifier les champions métiers dont l’activité, la maturité ou l’appétence se prête le mieux à une mise en œuvre rapide et créatrice de valeur,
- « Test and learn » avec leurs équipes afin de tangibiliser les apports métiers de la Digital Workplace, raffiner puis partager les success stories et les enseignements avec le reste de l’entreprise,
- Enrichir la gouvernance, co-construire la roadmap de transformation et la piloter avec les directions « régaliennes » (IT, Sécurité/Compliance, RH, Juridique, Communication).
Une telle approche n’est pas plus compliquée à mettre en place que des démarches plus standards, et compte tenu des écueils onéreux qu’elle évitera à l’entreprise, l’investissement consenti – notamment en accompagnement des métiers – sera rapidement rentabilisé.