Le système unifié de reporting : bref retour aux origines
Au début des années 2000, la plupart des groupes français ont adopté un modèle de reporting dit unifié, visant à harmoniser, au sein d’une même solution, l’ensemble des reportings financiers, que leur finalité soit externe et statutaire ou interne pour répondre aux besoins de pilotage du groupe, couvrant les cycles réels et prévisionnels.
Concrétiser ainsi le principe de « Single version of the truth » a permis d’accomplir un saut significatif en matière de qualité et fiabilité de l’information et de promouvoir auprès de l’ensemble de la communauté financière la primauté des standards du groupe (normes IFRS, format de présentation du P&L, …) sur les obligations et besoins locaux.
A noter qu’une offre nouvelle de solutions, à la fois robustes et suffisamment ouvertes pour intégrer les doubles contraintes d’un reporting réglementaire et d’un suivi de gestion, a accompagné ce mouvement.
Le système unifié de reporting, victime de son succès ?
A l’origine construit pour les financiers, unique vecteur de remontée d’une information structurée à l’échelle du groupe, le système unifié de reporting a vu ses usages et ses clients (RH, marketing / commercial, achats, production, …) s’élargir avec des indicateurs et des reportings ad hoc. En parallèle, les attentes des marchés financiers se sont renforcées et élargies et la masse d’information publiée a crû et s’est diversifiée (le reporting RSE en est un exemple).
Bon an mal an, le système de reporting unifié a su apporter une réponse satisfaisante à ces nouveaux usages. Pour autant, aujourd’hui, la multiplicité des « copropriétaires » et des usages amène à chacun d’eux des contraintes importantes et une perception – voire une réalité – de manque d’agilité : ajouter un axe d’analyse, mettre en production de nouveaux reportings en période de clôture posent problème. Par ailleurs, le niveau d’exigence s’élève de la part d’utilisateurs qui trouvent plus de souplesse et d’ergonomie dans d’autres solutions qu’ils manipulent au quotidien (analyse à la volée, tableau de bord ergonomique, …).
Ainsi, aujourd’hui, même au sein de la communauté financière de l’entreprise, le système a perdu en attractivité et capacité à fédérer de nouvelles demandes, avec un risque avéré de rechercher, au coup par coup, des réponses exogènes aux nouveaux besoins, d’autant plus que l’offre éditeurs met en avant des solutions légères d’EPM, de BI, de Data Visualisation (notamment en mode Saas). Reconstruire une vision d’ensemble du SI de pilotage devient nécessaire.
Et s’il était temps de bousculer le paradigme du reporting unifié ?
En premier lieu, prenons conscience des progrès considérables accomplis sur la production de l’information financière en amont : les comptes individuels sont arrêtés mensuellement dans des délais courts, la distinction entre arrêté comptable et arrêté de gestion a disparu, la diffusion de core model (ou core system) a permis de standardiser l’information sur base de référentiels partagés, les normes groupes sont appliquées dès la production des comptes individuels, …
Même si des progrès restent à faire et si certains périmètres restent durablement ou temporairement en retrait (petites filiales, acquisitions récentes, …), il devient envisageable de manipuler la même information via des outils différents sans pour autant renoncer à leur cohérence et à leur conformité aux normes groupe. On peut dire que l’unification a été poussée en amont et pèse moins sur les processus de reporting.
En parallèle, les attentes d’évolution sont très fortes et une démarche incrémentale n’est plus à la hauteur des progrès attendus : la granularité, la fréquence des analyses sont jugées insuffisantes ; le délai de prise en compte d’une nouvelle demande n’est plus acceptable ; la limitation à des agrégats ou axes d’analyse préconstruits empêchent l’exploration et l’analyse des tendances ; face à une demande de prévisions plus fiables et plus fréquentes, le reporting unifié n’offre qu’un service de remontée et de consolidation – et pas d’élaboration –
Ces constats sont d’autant plus difficiles à accepter que les éditeurs (tant des acteurs historiques qui ont fait évoluer leurs solutions que d’autres proposant des solutions plus récentes) promettent des réponses alléchantes.
Repenser le reporting unifié, repenser le contrôle de gestion groupe
Une fois reconnu l’enjeu du changement, se pose la question de la cible à viser. En observant les pratiques adoptées par les groupes qui n’ont pas – pas seulement – un reporting unifié, des pistes d’évolution tangibles émergent :
- Dés-unifier ne veut pas dire revenir à une dé-corrélation entre consolidation statutaire et reporting de gestion. Il s’agit plutôt de recentrer le reporting unifié sur un tronc commun de reporting financier, visant essentiellement à produire des données financières selon le maillage organisationnel du groupe. Quelques indicateurs opérationnels clés (ventes en volume, effectifs, …) peuvent bien sûr subsister.
- La cohabitation de ce tronc commun financier avec d’autres processus / solutions / données plus spécifiquement dédiés au pilotage de la performance (analyse métiers, modélisation, simulation, …) peut s’observer sous différentes formes :
- En amont, comme une couche intermédiaire d’information alimentant le tronc commun financier
- En parallèle, avec différents mécanismes possibles pour maintenir la cohérence des données
Il existe donc des modèles alternatifs qui ont déjà prouvé leur viabilité et leur pertinence.
Allons un cran plus loin, pour se projeter dans un nouveau paradigme. En effet, au fil des années, le concept de reporting unifié a fortement structuré la fonction de contrôle de gestion exercée par le groupe : l’organisation a été calée sur le modèle, la posture face à des besoins d’évolution est fréquemment conservatrice, dictée par la volonté de défendre coûte que coûte l’intégrité du modèle, et de sécuriser la publication externe.
Faire évoluer le concept, c’est donc se poser la question de revoir, élargir, enrichir, … le positionnement et les missions du contrôle de gestion ; c’est l’affranchir lui-même de cette logique de reporting unifié. Les questions à explorer sont notamment :
- Comment repenser l’analyse de la performance, avec d’autres moyens, d’autres approches que les traditionnels bridges et drill-down sur quelques axes prédéfinis (du groupe au pays en passant par la zone géographique, du groupe à la famille de produit en passant par la BU) … à l’heure de la BI (sans parler de Big Data) où manipuler une information élémentaire devient possible ?
- Comment se positionner de façon crédible dans un rôle d’apport de valeur ajoutée et de service auprès des entités du groupe, comment fédérer leurs besoins et animer l’échange de bonnes pratiques ?
- Comment se positionner par rapport aux différentes initiatives de l’entreprise autour du digital et de la data et à l’émergence de nouvelles fonctions telles que le Chief Data Officer ? Quelle coopération proposer ?
- Quels bénéfices attendre de l’analyse prédictive et sur quelles informations s’appuyer pour améliorer la qualité des prévisions ?
Se mettre en mouvement
Le reporting unifié est un élément structurant de la gestion financière des groupes. La décision de l’évolution du modèle ne se prendra pas à la légère. Nous identifions deux chemins de transformation possibles :
- Une approche classique de projet, avec construction d’une cible globale et mise en œuvre
- Une approche « en biseau », où des composants additionnels basés sur une solution de BI ou EPM sont progressivement mis en place, accompagnés d’un allègement du système de reporting unifié
Les groupes qui sont aujourd’hui confrontés à une nécessité de refondre leur solution (obsolescence, reconfiguration du groupe, …) choisiront la 1ère. La 2nde est tentante pour les autres, en veillant toutefois à éviter un asservissement trop fort des nouveaux composants au reporting unifié tel qu’il est aujourd’hui.
Dans tous les cas, la direction financière ne fera pas l’économie d’une réflexion sur sa contribution (et donc, celle des outils qu’elle met à disposition) en matière de prévisions, de pilotage de la performance et de gestion du capital « data » de l’entreprise.