Le cycle des matinales « Banque et Assurance du futur » s’est poursuivi le 21 janvier 2020 au Club Saint James. Wavestone recevait Pierre-Marie Lledo, neurobiologiste, Directeur du Laboratoire « Gène et Conscience » du CNRS et de l’Unité « Perception et Mémoire » de l’Institut Pasteur, et Nathalie Broutèle, membre du Comité Exécutif de Natixis et Directrice Générale de Natixis Assurances Métiers Assurances NON VIE, afin d’échanger sur le thème de « L’épanouissement du cerveau et organisation du travail : quelles révolutions possibles ? ».
Nous avons entamé la discussion avec la question suivante : qu’est-ce que l’humain à l’aune des nouvelles découvertes scientifiques ?
Des découvertes scientifiques récentes nous poussent à revoir notre modèle de management. Il est temps d’adapter nos processus aux nouvelles découvertes, afin que nos modes de fonctionnement s’adaptent à l’humain et non plus l’inverse. Pierre-Marie Lledo a mis l’accent sur trois grandes avancées scientifiques :
- Le cerveau est en chantier permanent. A l’inverse de neuro-mythes qui nous ont poussé à imaginer que notre cerveau cessait un jour de grandir, cette découverte nous apprend que le cerveau est en perpétuelle évolution, qu’il est en réalité appétent à grandir tout au long de notre vie.
- Ensuite, « le cerveau est une chambre d’échos de l’Autre ». Un tiers du cerveau cherche à répondre à nos propres besoins tandis que les deux autres tiers cherchent à comprendre les besoins des autres. C’est ce que nous pourrions appeler le cerveau social, qui évolue au gré des échanges que nous avons avec autrui.
- Enfin, la dernière grande découverte récente est que le cerveau se nourrit de trois temps. Notre comportement peut être guidé par une expérience passée qui nous permet de modifier notre présent. Nous sommes aussi capables de modifier notre comportement dans l’instant, en étant motivés par le plaisir. Mais surtout, le propre de l’humain est de se projeter dans le futur grâce au désir : c’est le cerveau projectif.
Aux regards de ces découvertes, Nathalie Broutèle s’est alors interrogée sur un fait paradoxal : alors que l’on sait aujourd’hui que le cerveau a besoin de changement pour progresser, pourquoi une telle résistance à celui-ci dans les organisations ?
La résistance au changement est due à la perception que l’on peut avoir d’une transformation. Certains vont la voir comme une opportunité quand d’autres la verront comme une menace. La peur et notre absence de maîtrise de celle-ci font alors basculer notre perception du changement vers l’un ou l’autre. Un bon leader serait donc une personne qui se soustrait à la peur.
Le cerveau, le cerveau dans un corps et le corps dans une foule. Pierre-Marie Lledo a ensuite parlé des trois formes d’intelligence que possède l’être humain. Tout d’abord, l’intelligence rationnelle qui est statistique, innée. Ensuite, l’intelligence émotionnelle, qui intervient quand le cerveau interprète ce qui se passe dans notre corps. Enfin, l’intelligence collective qui répond aux stimulations du groupe. La valeur ajoutée de l’humain réside dans l’intelligence émotionnelle. Un bon leader aura alors conscience de cela afin de toujours, dans un premier temps, analyser pour prendre la bonne décision.
Nathalie Broutèle a alors interpellé Mr. Lledo en réaxant la conversation sur l’émergence de cette nouvelle idée qui est celle de l’intelligence collective, et tout particulièrement sur une question : comment le leader peut-il s’en accommoder ?
Enfin, le manager neuro-amical* va, afin de mener à bien son projet, passer par plusieurs stades. La première étape est la motivation, c’est-à-dire exprimer la finalité du projet. Il doit ensuite organiser l’information pour pouvoir commencer à désirer, et donc, comme nous le disions précédemment, projeter l’action. Il lui faudra dans un dernier temps fournir un effort pour atteindre son objectif et être félicité, l’humain ayant besoin de reconnaissance.
*Qu’est-ce qu’un manager neuro-amical ?
/ il trouve le ton juste pour motiver
/ il rythme et organise l’information
/ il libère par l’action
/ il projette ses actions
/ il encourage et félicite
De surcroît, pour Pierre-Marie Lledo, le manager doit avoir conscience du filtre de sélectivité. Il doit opter pour la diversité, mais il doit aussi, pour créer une intelligence collective, choisir des personnes avec le même système de valeur.
Pierre-Marie Lledo a conclu ainsi : le vivre ensemble est à trouver. L’empathie n’est pas l’altruisme. Il y a une vraie menace : c’est la manipulation d’autrui par l’excès d’empathie. Il nous faut être plus dans l’écoute que dans l’action. On doit donc apprendre à cultiver le doute sans que cela ne soit une finalité.
Pour aller plus loin…
L’erreur de Descartes, Antonio R. Damasio, Editons O. Jacob, 2006
Le cerveau sur mesure, Jean-Didier Vincent, Pierre-Marie Lledo, éditions Odile Jacob 2012
Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée, Daniel Kahneman, Flammarion, 2012
Le cerveau : les clés de son développement et de sa longévité, B. Sablonnière, éditions JC Gawsewitch, 2013