« L’agriculture française : une diva à réveiller » selon Jean Marie Séronie [1]. Cette diva des années 60 a effectivement beaucoup de mal à s’adapter à son temps, assommée par un système d’organisations démultipliées, d’interdictions ou d’autorisations complexes et peu lisibles qui ne favorisent ni la rapidité des décisions, ni l’innovation et encore moins l’audace. Par exemple, très peu d’agriculteurs sont en capacité de faire eux même leur déclaration PAC ou de remboursement TIPP. Toutes les filières végétales ou animales sont concernées par les difficultés d’adaptation et d’évolution dictées par un marché mondialisé et des consommateurs qui demandent aux producteurs de concilier productivité, qualité, environnement et responsabilité sociale. La filière fruits et légumes française n’est pas épargnée.
Cet article démontre la dépendance des Français aux importations de fruits et de légumes et la chute de l’attractivité de la filière Française, puis dresse un état des lieux et une mise en perspective au vu de la crise sanitaire COVID pour montrer qu’il existe des opportunités de réduire cette dépendance. Finalement le lecteur peut prendre connaissance de 3 enjeux auxquels doivent répondre les filières pour qu’elles redonnent un élan à leur mission et qu’elles deviennent des acteurs majeurs dans la reconquête de l’attractivité des fruits et légumes Français en France et à l’étranger.
Un constat : une forte dépendance aux importations
En 2018, 57% des fraises consommées sur le territoire français proviennent de l’étranger [2], une tomate sur deux est importée. La même année, les deux tiers des courgettes et un peu moins de 40% des salades et chicorées achetées par les français sont issues de l’importation. Ce constat peut être étendu à la quasi-totalité du paysage des fruits et légumes français. En 2019 plus de 50% des poires et des pêches consommées en France viennent de l’étranger. De même, plus de 20% des cerises et abricots en 2019 sont issus de l’importation.
Lorsque l’on compare les évolutions de la dépendance aux importations entre les variétés de fruits et légumes produites en France, on constate que cette dépendance varie fortement selon les produits : ainsi, si les consommateurs se détournent de plus en plus des fraises importées de l’étranger, la dépendance aux importations a fortement augmenté entre 2013 et 2018 pour les cerises, les pêches, les abricots, les chicorées et laitues, les carottes et navet ainsi que les courgettes.
Bien que les surfaces mises en terre aient été légèrement réduites pour certains fruits et légumes, les maraîchers et arboriculteurs français produisent, mais en quantités insuffisantes. En moyenne, la production de fruits et de légumes en France pourrait augmenter de 20% à 50% selon les variétés pour répondre à la demande nationale.
Ce constat d’une forte dépendance à l’importation ne serait en rien gênant si le potentiel pédoclimatique [3] français ne permettait pas de produire de nombreuses variétés de fruits et légumes en quantité. Grâce à son climat tempéré et à ses sols à fort potentiel sur une grande partie du territoire, mais également ses DOM/TOM, l’agriculture française est en capacité d’assurer une production diversifiée et régulière d’une année à l’autre. La France possède un véritable don de la nature avec sa diversité de territoire et de climat auquel de nombreuses grandes puissances agricoles n’ont pas accès, telles que les pays de l’Est, la Russie ou l’Amérique du Nord.
Nous sommes convaincus chez Wavestone que la production de fruits et légumes française peut être attractive sur le marché national et mondial. Mais pour cela, chaque acteur de la filière doit pouvoir se doter d’une stratégie et des bons outils pour répondre aux enjeux qui vont être décrits par la suite.
Mise en perspective Covid-19 : quand Paris n'a plus de légumes
Les scènes où des parisiens s’entassent devant des camions de maraîchers qui livrent des paniers de fruits et légumes frais sont devenues régulière durant la crise sanitaire du COVID. L’inflation des prix est visible, par exemple le prix du kilo d’endives est passé de 2€50 à 5€50 et celui de la laitue de 1€ pièce à 2€ [4].
En cette période de crise, l’offre de fruits et légumes en provenance d’Espagne et d’Italie s’est restreinte, notamment sur les courgettes, tomates et fraises. Faute de main d’œuvre, cumulée à une prise de précaution en réduisant les exportations, les quantités de fruits et légumes frais importés en France sont donc réduites. Si la crise sanitaire venait à s’intensifier, les risques d’étales vides dans les supermarchés des grandes villes françaises pourraient se confirmer.
Si les appels à la relocalisation et à une souveraineté alimentaire plus forte sont nombreux, il ne faut cependant pas oublier les contraintes imposées par les consommateurs français. Un exemple tangible pourrait être que malgré toute la bonne volonté du monde, il n’y aura jamais assez de poules sur les toits et les balcons de Paris pour répondre à la demande de 8 à 10 millions d’œufs par jour pour nourrir les parisiens.
Cette crise sanitaire amène de nombreuses interrogations. Elle remet en cause le système de libéralisation total du marché des fruits et légumes qui, petit à petit, a amené la France à être un producteur de moins en moins attractif aux yeux des consommateurs français et des importateurs étrangers. Cette crise doit permettre aux filières et plus globalement à l’agriculture française de se redessiner comme elle a su le faire après-guerre. Mais elle doit se redessiner en se posant les questions des besoins, des contraintes et de ce qu’elle souhaite être dans les décennies à venir.
Cette période est charnière car les stars pseudo scientifiques/sachants qui profitent d’un marché des médias en forte concurrence risquent de bousculer la réflexion de fond qu’il doit y avoir et précipiter les décisionnaires dans des solutions trop hâtives qui ne répondent pas au fond du problème : comment rendre les productions de fruits et légumes françaises plus attractives ? Si la question de l’attractivité des productions françaises n’est pas posée, il n’y aura pas d’avant et d’après Covid 19 pour l’agriculture française.
Les opportunités de s'affranchir des importations
L'exemple de la patate douce
Grâce au développement des semences (hybrides et améliorantes), il est aujourd’hui tout à fait envisageable de cultiver de la patate douce en France, bien que souvent considérée comme un légume subtropical. La demande en patate douce des consommateurs français explose depuis quelques années. Et pourtant malgré une forte demande (nationale et européenne) et des conditions favorables à la culture de ce légume, moins de 200 hectares (ha) ont été mis en terre pendant la campagne 2017-2018. La France a consommé 45 000 tonnes de ce légume soit une consommation presque exclusivement d’origine étrangère. En considérant un rendement moyen de 15 tonnes commercialisable à l’hectare [5] il faudrait planter plus de 3 000 ha pour répondre à la demande française. L’Espagne et les Etats Unis représentent à eux deux 80% des quantités importées [6].
Cette filière a beaucoup de mal à s’organiser malgré la demande européenne en croissance et notamment un voisin friand de patate douce : le Royaume-Uni. Les britanniques ont importé en 2018 plus de 120 000 tonnes de ce légume. Une quantité qui correspond à une opportunité de plus de 200 millions d’euros en culture conventionnelle et autant en culture biologique (prix Rungis décembre 2019 1€70 [7]). Cet exemple peut s’appliquer à de nombreuses autres variétés subtropicales, telles que les piments.
Les acteurs de la filière
Au-delà de l’avantage climatique, la France dispose d’un écosystème d’acteurs et notamment d’agriculteurs et agricultrices qui ont su, durant les 60 dernières années, multiplier par 4 la productivité tout en diminuant par 5 le nombre d’exploitations. Durant cette dernière décennie, l’ensemble de la filière fruits et légumes traverse une période d’incertitude et de difficultés qui se traduit par un taux de suicide élevé dans la profession (agriculteur toute filière confondue : 2 suicides par jour).
A l’heure où la libéralisation des prix des fruits et légumes est totale, du numérique, où l’ensemble des pays se sont ouverts sur le marché international, où les consommateurs demandent aux producteurs de concilier productivité, qualité, environnement et responsabilité sociale, la filière fruits et légumes française chute d’année en année sur le podium Européen des exportateurs. La France, par sa politique agricole du 20ème siècle a su développer un tissu d’acteurs transverses des plus compétents au monde. C’est une force, mais aujourd’hui ce réseau est complexe, avec un nombre important d’acteurs démultipliés qui rend le partage d’informations à l’ensemble des parties prenantes et la prise de décision extrêmement lent et complexe. C’est l’une des raisons qui explique les difficultés auxquelles la filière fruits et légumes française fait face et peine à rivaliser en Europe et dans le monde. Bien que le rythme des saisons impose à tous d’attendre 4 mois entre la semence d’une graine et l’obtention d’une tomate, aujourd’hui, c’est véritablement la vitesse d’adaptation et la réactivité d’année en année de toute une filière qui permet de rester concurrentiel et attractif sur le marché mondial.
Pourtant, les acteurs de la filière qui démontrent l’envie de redonner du sens à leur métier par l’innovation et le changement dans leur pratique de production et de gestion sont nombreux. Un exemple communément évoqué concerne les producteurs bio.
Le bio : oui, mais pas sans les biotechnologies
Le chiffre d’affaire total généré par les produits bio sur le marché alimentaire s’élevait à un peu moins de 10 milliards d’euro en 2018 [8] avec une progression de 1,4 milliards d’euro entre 2017 et 2018. Le bio représente 5% de la consommation alimentaire globale dont 19% des produits vendus sont des fruits et légumes.
Ces chiffres laissent imaginer la marge de progression potentielle et l’importance d’accompagner l’ensemble des acteurs de la filière pour pérenniser une niche de plus en plus grande et actuellement soutenue par des prix élevés. Ils sont de plus en plus nombreux (environ 7,5% de la Surface Agricole Utile en France) à rejoindre la tendance. Motivés par la responsabilité de leur mission, producteurs, chercheurs, machinistes et tous les acteurs de la filière engagent le pas pour offrir à l’ensemble des consommateurs le sentiment de mieux manger.
Aujourd’hui, les produits bios bénéficient d’une niche tarifaire. La demande est en effet plus forte que l’offre mais l’arrivée inévitable de nouveaux acteurs risque d’amener les produits bios à se retrouver, dans les années à venir, sur un marché tout aussi volatil que les produits conventionnels. La vitesse d’adaptation d’une filière est alors un enjeu majeur pour rester attractif et compétitif. Il faut enlacer les biotechnologies qui ouvrent la porte vers une proportion de SAU française bio majoritaire et qui permettent de concilier qualité, quantité, environnement et responsabilité sociale. Les biotechnologies semblent ainsi se révéler comme un des outils qui permet d’être responsable face aux prochaines générations et à l’environnement : plus de 150 prix Nobels (de médecine, physique et économie) ont adressé une lettre ouverte à l’ensemble des dirigeants de la planète pour les inciter à s’approprier les biotechnologies telles que les variétés génétiquement modifiées plutôt que de les fuir [10]. Et si le bio réconciliait producteurs, chercheurs et consommateurs ?
La filière fruit et légume est à un moment charnière où les exportations chutent d’année en année sur un nombre important de variétés. La France reste un grand producteur européen, mais sa production ne suffit pas à répondre aux attentes des consommateurs Français, tant sur le plan de la quantité que de l’offre proposée. Pourtant il existe des opportunités qui permettraient de réduire la dépendance aux importations comme l’exemple de la patate douce peut le montrer. Certains producteurs font le pas et transforment leur manière de produire en cohérence avec le marché et les évolutions des pratiques de consommation. C’est le cas des producteurs bios. Souvent considérés comme marginaux aux débuts du mouvement par les filières, les producteurs bios font désormais partie du paysage de l’agriculture française. Les filières doivent les accompagner en assurant le pont entre la science et les producteurs. Car la science deviendra un acteur majeur pour maintenir l’agriculture bio française compétitive à moyen terme en vue de l’augmentation des SAU bio à l’étranger et notamment dans les pays de l’Est. Pour redonner un élan à leur mission et qu’elles deviennent des acteurs majeurs dans la reconquête de l’attractivité des fruits et légumes Français en France et à l’étranger la filière fruits et légumes doit répondre aux trois grands enjeux présentés ci-après.
Trois enjeux majeurs pour redynamiser la filière
Il convient d’identifier les interfaces entre les différents sous-systèmes de la filière et de définir en collaboration avec les acteurs concernés, la nature des échanges qu’ils doivent entretenir. Pour supporter et outiller ces échanges, il existe de nombreuses solutions digitales adaptées qui permettent de simplifier et sécuriser le travail collaboratif entre différentes parties prenantes d’un même projet.
La compréhension du marché dans lequel évolue une filière est l’un des piliers de l’adaptation et du maintien de l’attractivité de celle-ci dans le temps.
L’outil le plus pertinent qui permet de comprendre le marché dans lequel s’inscrit une filière est une segmentation des marchés historiques et cibles complétée d’une analyse.
Il apparait ainsi que les acteurs de la recherche et de l’innovation sont clés dans le développement de la filière fruiticole et maraichère. Ils sont d’autant plus importants à un moment charnière, déjà bien engagé, où les consommateurs demandent aux acteurs de la production de concilier productivité, qualité, environnement et responsabilité sociale.
Sources et précisions :
[1] : L’agriculture française : une diva à réveiller de Jean Marie Séronie
[2] : AGRESTE consulté le 12/01/2020 : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/
[3] Pédoclimatique : Climat interne du sol, caractérisé par les conditions saisonnières de température, d’hydromorphie, d’aération, de pression partielle en CO2.
[4] Europe 1 consulté de 20/04/2020 : https://www.europe1.fr/economie/ca-passe-du-simple-au-double-au-rayon-fruits-et-legumes-les-prix-grimpent-pendant-le-confinement-3960322
[5] : Sud Bio consulté le 14/01/2020 : https://www.sud-et-bio.com/sites/default/files/Resultats_References_Patate%20douce%20Roussillon_CivamBio66_JTMO_10.11.2016_0.pdf
[6] Patate Douce : https://www.cirad.fr/content/download/12949/154038/version/1/file/PosterPatateDouce.pdf
[7] : France Agri Mer consulté 14/01/2020 : https://rnm.franceagrimer.fr/prix?PATATE-DOUCE&12MOIS
[8] Agence Bio consulté le 18/01/2020 : http://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2019/06/DP-AGENCE_BIO-4JUIN2019.pdf
[9] Agence Bio consulté le 18/01/2020 : https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/
[10] Support Précision Agriculture consulté le 26/01/2020 : https://www.supportprecisionagriculture.org/view-signatures_rjr.html