Déclenché en mars dernier, le premier confinement a engendré un bouleversement considérable des manières de travailler. Pour beaucoup d’organisations, le télétravail, qui était auparavant l’exception, est devenu la norme. Devoir organiser son travail en autonomie depuis son domicile ou manager son équipe sans la croiser transforme radicalement la manière de vivre le travail. Pensons également aux liens du collaborateur avec son organisation, à la qualité de vie au travail, ou encore à l’utilisation des outils de travail : la crise sanitaire fait évoluer de larges facettes de l’expérience collaborateur.
Si le télétravail n’a pas attendu la crise sanitaire pour apparaître, cette dernière y a mis un profond coup d’accélérateur en renforçant des évolutions technologiques, sociétales, économiques déjà en cours. Il est devenu nécessaire pour s’orienter d’imaginer concrètement ce que pourra être le collaborateur de demain, et les différents scénarios possibles, dépendant largement de la maturité des organisations sur le sujet avant la crise.
Crise sanitaire et confinement : le renforcement d’évolutions déjà en cours
La pression technologique : l’évolution la plus nette en faveur des nouvelles manières de travailler
Il y a presque trente ans naissait le document électronique PDF, comme le rappelle The Economist dans son article The future of work, Is the office finished. Des outils collaboratifs comme Slack (créé en 2009), Zoom (créé en 2011) sont venus renforcer cette révolution technologique : depuis bientôt dix ans, l’essentiel des activités de bureau est réalisable à distance.
Avec la crise sanitaire, la pression technologique est devenue extrêmement forte et a fait triompher ces outils de la fameuse « inertie naturelle » dont parle le journal britannique et qui avait jusque-là permis aux bureaux d’échapper à cette pression technologique : 63% des travailleurs ont ainsi télétravaillé pour la première fois à l’occasion du premier confinement.
Une pression économique immobilière qui se conjugue avec une pression sociale et sociétale
Avec la concentration économique dans les grandes métropoles, les coûts immobiliers augmentent constamment et constituent une charge de plus en plus importante dans le bilan des organisations. Ce coût immobilier se répercute aussi via le coût du travail : le salaire doit être suffisamment élevé pour permettre au salarié de se loger. Ainsi, la flambée de l’immobilier contribue à accélérer la généralisation du travail à distance, notamment dans contexte économique dégradé qui oblige à minimiser les charges.
On l’a vu, l’augmentation du prix de l’immobilier conduit de plus en plus de particuliers à s’éloigner de leur lieu de travail. Mais de l’autre côté, l’équilibre vie professionnelle et vie privée devient de plus en plus important. Il apparait donc moins évident de perdre des heures dans les transports pour rejoindre son bureau. La sensibilité à l’écologie, au développement durable, à la responsabilité sociale des organisations se développent également et font pression en faveur de ces nouvelles manières de travailler. Le défi reste total puisque lors du premier confinement 43% des managers géraient leurs équipes à distance pour la première fois.
Tentons maintenant d’esquisser le portrait-robot du collaborateur de demain
Les pressions que l’on vient d’évoquer agissent directement sur les collaborateurs d’aujourd’hui et la manière qu’ils ont de vivre leur travail. On peut ainsi imaginer à quoi ressemblera le collaborateur de demain en prenant en compte ces évolutions.
Un nouveau rapport à l’environnement de travail
L’élément le plus évident est d’abord son rapport à son environnement de travail. On peut le qualifier d’élastique. Le collaborateur ne se rend pas au bureau par obligation mais pour des usages spécifiques qu’il ne trouvera qu’au bureau, et ce pour des horaires qu’il choisit. Cette élasticité n’est possible que si les conditions de confort, d’ergonomie et de concentration sont similaires en télétravail et dans l’organisation. Il développe donc des modes de fonctionnement agile et flexible.
Le pourquoi prend tout son sens
Ensuite, le collectif de l’organisation se vivant autrement, toutes les amitiés nouées autour de la machine à café autrefois ne suffisent plus à raccrocher le salarié à son organisation. L’organisation doit donc procurer un véritable sens à son collaborateur. La responsabilité sociale de l’organisation devient centrale ainsi que la légitimité du manager. C’est en effet essentiellement le manager, dans le contexte du télétravail, qui permet de relier le collaborateur au collectif. Son rôle de coach, d’animateur du collectif de travail, devient crucial.
La performance reste la clé
Par ailleurs, il ne faut surtout pas négliger la question de sa performance. Cela sera rendu possible par la mise à disposition du digital dans son quotidien, d’objectifs clairs et adaptés à ses compétences, portés par son manager.
La vie sociale doit être équilibrée
Enfin, pour être durable, le télétravail doit permettre une vie sociale équilibrée en redonnant au travail une place parmi d’autres activités du quotidien, sans prééminence. C’est l’hybridation entre distanciel et présentiel qui pourra contribuer à cet équilibre.
Il est indispensable d’évaluer la maturité de l’organisation avant la crise pour déterminer la trajectoire d’évolution de l’expérience collaborateur
Nous avons distingué trois types d’organisations : non matures, plutôt matures et matures avant la crise, afin de distinguer les points de départs de l’expérience collaborateur en fonction des organisations.
Les organisations non matures avant la crise : vers une adaptation limitée de leur modèle
Il s’agit d’organisations qui, avant la crise, proposaient peu, voire pas du tout, de télétravail, avec une flexibilité horaire faible.
Il est probable que des réflexions y seront lancées pour adapter l’expérience collaborateur. Cependant, sans accompagnement ni préparation, le télétravail de crise n’encourage pas à transformer radicalement le modèle. L’adaptation y est donc limitée, avec une analyse de la faisabilité du télétravail en fonction des activités, sans réel impact sur la suite. De même, de nouveaux modes de management peuvent être initiés pour améliorer l’autonomie, la performance à distance, mais avec une portée limitée (feedback, objectifs fixés)
Les organisations plutôt matures avant la crise : vers une évolution de leur modèle
Pour les entreprises plutôt matures avant la crise, les réflexions de transformation vont demander aux ressources humaines de réviser en profondeur le cadre du travail (ex : télétravail, formation et gestion des compétences, digitalisation des processus etc.). En parallèle, une analyse des activités présentielles / distancielles doit être engagée, tout comme la création de nouvelles règles collectives. De son côté, le management peut évoluer, vers plus d’autonomie et de confiance, mais conserve ses pratiques clés en présentiel (feedback, modes de contrôle).
Un accompagnement de l’organisation individuelle à distance est proposé, mais la question des équipements à domicile peut être étudié, mais n’apparait pas nécessairement essentiel. Le lien social s’organise selon des modalités présentielles et digitales et les espaces de travail sont répartis selon les usages (collaboratif / informel privilégié).
Les entreprises matures avant la crise : vers une révolution de leur modèle
Pour les organisations matures avant la crise, on observe une véritable accélération avec la crise sanitaire. Cela passera par un travail de fond des ressources humaines, avec une révision du modèle de travail global, du sens du travail et des facteurs d’engagement / motivation.
D’un point de vue opérationnel, les activités présentielles en lien avec le nouveau sens du travail défini et les nouvelles règles collectives seront analysées. Les pratiques managériales se transforment pour prendre en compte le distanciel, et passent au management par objectifs.
Pour donner les moyens aux collaborateurs de réussir, l’accompagnement RH et les équipements à domicile apparaissent essentiels. Tout comme la réorganisation des canaux sur l’ensemble des offres de services (IT…). Les espaces de travail sont pensés comme devant encourager le collaboratif et l’innovation. Cependant, la question du lien social est à réinventer.
En synthèse les 3 scénarios types présentés ici et les impacts générés
Une expérience collaborateur impactée dans toutes ses dimensions
Il est donc net que l’expérience collaborateur va être profondément impactée par la crise sanitaire pour de nombreuses organisations : « Pas moins de 93 % des DRH sont bien conscients que ces évolutions vont engendrer une mutation des pratiques managériales et sociales ».