Introduction

Lancé dans le but de moderniser la politique publique de sécurité, le Beauvau de la Sécurité a réuni représentants des organisations de sécurité intérieure, experts, élus locaux et nationaux autour de 8 tables rondes, dont une dédiée au recrutement et à la formation.  

Parmi les annonces du Président de la République lors de la clôture de ce temps d’échange inédit figure l’élaboration d’une loi d’orientation et programmation de la sécurité intérieure dont « Le but est de penser la police et la gendarmerie de 2030. Une police qui doit faire face aux nouvelles formes de délinquance qui pullulent dans l’espace numérique, les escroqueries digitales, la cybercriminalité. Il faut une police qui doit se saisir des technologies numériques pour aller plus vite, enquêter efficacement. ».  

Dans la continuité de ces annonces présidentielles, une réflexion s’impose aujourd’hui sur les besoins d’adaptation de la formation des forces de sécurité intérieure. Il s’agit d’un enjeu majeur pour répondre aux demandes des organisations syndicales et des citoyens, afin d’améliorer l’efficacité des forces de sécurité intérieure et de faire face aux nouveaux défis qu’elles doivent relever.  

Si la formation des forces de sécurité se doit d’évoluer constamment, c’est encore plus vrai aujourd’hui afin de prendre en compte les transformations en cours, tant liées à des évolutions de la société qu’intrinsèques au monde de la sécurité. 

Compte tenu de la proximité des enjeux et des besoins, cette réflexion concerne en premier lieu la formation des fonctionnaires de la Police Nationale et des personnels de la Gendarmerie Nationale. Cependant, les enseignements qui en découlent pourraient également nourrir une réflexion similaire pour les polices municipales, qui vivent actuellement des trajectoires et des problématiques comparables. : croissance forte des effectifs, enjeux de professionnalisation et de montée en puissance managériale, évolution des menaces, métiers et outils, etc.  

Un changement d’échelle des écoles de Police

A l’issue des débats du Beauvau de la Sécurité, une réforme de la formation des forces de l’ordre a été annoncée par le Président de la République : 

  • Une augmentation de la formation initiale des gardiens de la paix de 6 mois ; 
  • Une hausse de 50% de la durée de la formation continue pour les gendarmes et les policiers ; 
  • L’intégration d’une formation d’Officier de Police Judiciaire à la formation initiale de tout policier et tout gendarme ; 
  • Un rapprochement de la formation des forces de sécurité intérieure et des magistrats. 

Ces mesures impactent par conséquent les structures et les dispositifs de formation d’ores et déjà installés pour les forces de sécurité intérieure, qui sont rappelés ci-dessous. 

Focus sur le dispositif de formation

Formation des policiers

Formation des gendarmes

Alors que sont notamment prévues une hausse du temps de formation initiale pour les gardiens de la paix et une hausse du temps de formation continue pour l’ensemble des forces de sécurité intérieure en exercice, les mesures annoncées par le Président de la République posent donc un défi de taille à l’écosystème de formation des forces de sécurité intérieure. Leur mise en œuvre devra répondre à de multiples enjeux.  

Notamment, l’un des objectifs poursuivis est d’assurer le doublement des effectifs présents sur le terrain, sans toutefois dégrader la durée ou la qualité de la formation – la précédente grande réforme de 2016 ayant induit une réduction de sa durée (de 12 mois à 8 mois) afin d’accélérer l’arrivée des nouvelles recrues sur le terrain. Ainsi différents aspects sont à prendre en compte : 

  • L’ouverture du débat sur le déploiement de nouvelles écoles ou l’augmentation de la capacité des écoles existantes. A ce titre, le Beauvau de la Sécurité avait abordé la possibilité d’une école itinérante ou encore d’une académie de police.
  • Le recours ou non à l’externalisation de tout ou partie de la formation, dans son contenu et dans les modalités de sa réalisation, afin de viser une mise en œuvre plus rapide.
  • Le degré d’autonomie des écoles de police, à mettre en parallèle avec la volonté d’une déconcentration de la Police Nationale et de possibles mutualisations avec la Justice également abordées lors du Beauvau de la Sécurité.  

La mise en place de ces nouveaux dispositifs devra par ailleurs s’accompagner de réflexions sur la refonte des contenus de formation et l’adaptation des dispositifs existants aux grandes évolutions des métiers de la sécurité intérieure.

L'opportunité d'adapter les contenus de formation

Le métier des forces de sécurité intérieure se doit d’évoluer en permanence pour anticiper et répondre aux évolutions de la délinquance et de la société. Ainsi pour exercer leur métier, les forces de sécurité intérieure devront faire face à plusieurs défis que la formation peut aider à relever :

  • S’adapter aux évolutions et aux nouveaux types de menaces
  • Répondre aux attentes de plus en forte des citoyens ;
  • Occuper des postes à forte dimension managériale dans des contextes mouvants (société, réglementations, technologies, organisation, etc.).

Les forces de sécurité intérieure sont confrontées à de nombreuses menaces persistantes mais doivent également faire face à la montée en puissance d’autres formes de criminalités, qui bousculent la conception actuelle du métier. Le Président de la République, dans son allocution du 14 septembre à Roubaix, souligne d’ailleurs la nécessité pour les forces de sécurité d’être capables de « faire face aux nouvelles formes de délinquance et de menaces, qui incluent notamment des enjeux numériques et technologiques… ». 

Parmi ces nouvelles menaces, l’accroissement du niveau de violence et des dégradations lors de manifestations a ouvert le débat des techniques et de la doctrine du maintien de l’ordre telles qu’elles sont enseignées dans les écoles de police.  

La cybercriminalité est également une nouvelle forme inédite de délinquance à laquelle les forces de sécurité intérieure doivent faire face. La recrudescence des attaques au rançon-logiciel sur les administrations publiques ou relevant d’une mission de service public sont un des exemples emblématiques de l’impact sociétal de ce nouveau type de criminalité. La création du COMCyberGEND, ou Commandement de la gendarmerie dans le cyberespace, en février 2021 démontre la volonté du ministère de l’Intérieur de renforcer la professionnalisation dans la lutte qui en est faite. Dans cette logique, une autre initiative mise en place est la création d’un nouveau métier de policier investigateur en cybercriminalité. Il est accessible via une formation spécifique depuis le poste de gardien de la paix, officier ou commissaire. 

En parallèle de la mutation des menaces, les attentes des citoyennes et citoyens français envers les forces de sécurité intérieure évoluent également. Globalement les Françaises et les Français ont une bonne image de la police, mais elle demeure améliorable :

Les attentes de la population vis-à-vis des forces de l’ordre font donc émerger un besoin d’adaptation de la formation des forces de sécurité, qui peut prendre place dans le cadre de la formation initiale ou de la formation continue, sur différentes thématiques.  

Ainsi, la connaissance et prise en compte des violences sexistes et sexuelles par les forces de terrain de même que l’accueil et la prise en charge des victimes dans les brigades et les commissariats font l’objet d’une attention particulière depuis 2017. Parmi les initiatives menées, on peut notamment citer la création d’un réseau de référents chargés de l’accueil ainsi que la mise en place d’un stage de 4 jours sur l’accueil des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles, proposé aux agents occupant des fonctions permanentes ou occasionnelles d’accueil (administratifs, adjoints de sécurité, gardiens de la paix ou gradés). Dans cette même lignée, le ministère de l’Intérieur est actuellement en train d’expérimenter la plainte « hors les murs », c’est-à-dire hors du commissariat (au sein de locaux associatifs, hospitaliers, etc.). Cette initiative est pensée comme une nouvelle manière de sortir du cadre du commissariat, parfois vécu comme intimidant ou pesant pour les victimes, et ainsi de placer ces dernières au centre des procédures.  

L’usage de la force par les forces de sécurité intérieure pose également des questions importantes en matière de formation. L’usage et le maniement des armes intermédiaires sont en effet au cœur des tensions autour de la formation des forces, notamment à la suite des incidents survenus lors de manifestations ces dernières années. Les attentes de la population vis-à-vis de l’usage de ces armes poussent à repenser la doctrine française de maintien de l’ordre. A ce titre, lors de son discours de clôture du Beauvau de la Sécurité, le Président de la République a annoncé la création d’un centre de formation du maintien de l’ordre en région parisienne qui permettra de former des CRS ainsi que des escadrons de gendarmes mobiles. 

Une formation aux « savoir-être » devient par ailleurs tout aussi importante que la formation aux « savoir-faire » techniques, notamment pour les agents de voie publique et d’accueil, qui sont au contact direct de la population. Parmi les évolutions sociétales de ces dernières années, on peut en effet noter un changement dans le rapport qu’entretiennent les citoyens avec les forces de sécurité intérieure : difficultés de communication, image des forces fluctuante et en dégradation ces derniers temps, etc. Que ce soit en formation initiale, ou au quotidien dans le cadre de la formation continue, et à commencer par celle dévolue aux cadres de proximité, la formation aux « savoir-être » et aux compétences psychosociales devient une priorité aussi forte que celle visant à la maîtrise des gestes et procédures techniques. 

L’intégration en formation initiale d’un module axé sur la sociologie de la société française et de ses évolutions irait aussi dans le sens de ces nouveaux besoins. Comme évoqué ci-dessus, les questions relatives à la prise en charge de victimes sensibles sont un des principaux enjeux qu’il s’agirait ainsi de mieux comprendre et développer.  

Le réseau de référents susmentionnés, sensibilisés à l’enjeu des attentes de la population, constitue enfin un levier pour amorcer de manière diffuse un changement culturel et une amélioration des pratiques, grâce à des échanges informels ou semi-formels entre pairs. 

Face à ces défis nombreux, l’un des enjeux majeurs à venir relève également de la décompression ou de la gestion de stress, afin de prévenir les risques psycho-sociaux. Le policier ou le gendarme exerce en effet une grande variété de missions : il peut aller au contact lors d’une manifestation, prendre des dépôts de plaintes de plaignants à la charge émotionnelle élevée, s’occuper du lien social, patrouiller dans sa ville ou effectuer des tâches administratives répétitives. Face à de telles situations, une meilleure prise en compte de la santé mentale des agents et de leur équilibre de vie est nécessaire, notamment via l’évolution des méthodes et pratiques managériales. 

Plusieurs initiatives sont poursuivies par le ministère de l’Intérieur en ce sens. Pour diminuer le travail en silo et favoriser les échanges d’informations et la collaboration, la Police Nationale s’oriente notamment vers un recentrage de la prise de décision opérationnelle au niveau territorial. La création des directions zonales de la sécurité publique (DZSP) en 2020 porte l’objectif de déconcentrer l’organisation de la police nationale et de renforcer son ancrage territorial. Ces réformes organisationnelles d’ampleur poursuivent l’objectif de mettre à profit la connaissance terrain des agents opérationnels, de simplifier et raccourcir les processus de décision et de permettre in fine une meilleure efficacité de l’action des forces de sécurité. 

La sur-mobilisation des forces de sécurité, à laquelle le gouvernement répond souvent dans l’urgence par une augmentation des effectifs, est également une source de risques psycho-sociaux importants. Les causes en sont connues : sentiment de moindre considération à la fois des citoyens mais aussi de l’institution, suractivité, démotivation, conditions de vie et de travail dégradées, etc. Au-delà des causes structurelles (rémunérations, conditions de vie et de travail), le management dans son ensemble a un rôle important pour conforter la cohésion des collectifs, détecter les situations individuelles particulières et alerter. Cela passe par un « commandement » humain, proche des hommes et des femmes. Cette dimension est plus que jamais un axe fort de la relation entre un chef et son équipe, qui ne s’improvise pas mais doit au contraire mûrir dans la durée en s’appuyant sur des temps forts de la formation initiale et continue.   

La formation des cadres constitue à ce titre un enjeu majeur pour les forces de sécurité. Face à des situations de plus en plus complexes et conflictuelles à gérer au quotidien, la capacité à analyser extrêmement vite les situations, à prendre les bonnes décisions, à donner et faire appliquer des directives claires sont des qualités essentielles qui doivent être au cœur du projet pédagogique des écoles de formation initiale des cadres de la Police et de la Gendarmerie nationales.  

Le management des forces de sécurité intérieure doit par ailleurs continuer de se saisir de l’enjeu de transformation numérique : les travaux actuels sur la dématérialisation de la chaîne de procédure pénale et le dépôt de plainte en ligne sont à titre d’exemple des bouleversements majeurs, qui réduisent drastiquement le volume des dossiers « papiers ». Ces évolutions impliquent un besoin d’acculturation des agents et de leur personnel encadrant, des formations sur l’usage de ces outils ainsi que, pour l’encadrement, sur le management à l’ère du numérique.  Une généralisation hâtive de l’usage du numérique comporte en effet des risques majeurs sur l’efficacité d’une organisation nationale en exposant les situations d’« illectronisme », de refus du changement ainsi que les disparités de dotation en matériel entre les territoires. Ce chantier que la police et la gendarmerie portent, nécessitera donc une coordination accrue entre acteurs nationaux, régionaux et locaux ainsi qu’un besoin de formation massive. 

Des dispositifs de formation à renouveler

Au service de ces nombreux enjeux, l’ingénierie des formations (organisation, contenus, formats, intervenants…) doit également être adaptée. L’allongement des durées de formation, l’accroissement du volume de fonctionnaires à former et la refonte des contenus de formation constituent en effet autant d’opportunités de réformer les modalités dans lesquelles les formations sont effectivement dispensées. 

Ouvrir la formation vers les métiers de la justice

Pour renforcer le sens que donnent les forces de sécurité à l’ensemble de leur action (chaîne sécuritaire allant de la répression de l’acte nuisible à la réhabilitation de la personne responsable), l’intégration de temps d’échange et de formation sur le travail de la Justice, en lien avec des fonctionnaires qui en sont issus, serait à privilégier. Cela correspond également à un autre objectif du Beauvau de la Sécurité sur le renforcement de l’interculturalité police-justice. 

La refonte de la procédure pénale, autre chantier majeur, porte en elle ce décloisonnement des contenus de formation entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice. Il est en effet essentiel que forces de sécurité et magistrats partagent dès maintenant des socles communs de formation, afin que les pratiques propres à chaque métier s’inscrivent bien dans le continuum voulu par la réforme de la procédure pénale.   

Décloisonner l’offre de formation

Plus généralement, les contenus de formation doivent de plus en plus répondre à la complexité accrue des problématiques de sécurité et à leur imbrication systématique avec d’autres marquants forts de l’évolution de la société. Ainsi, sans être exhaustif, les problématiques de sécurité rejoignent celles de l’aménagement du territoire, des politiques de solidarités, de la politique de la ville et de rénovation urbaine… et plus récemment de santé et de lutte contre la pandémie.  

Les contenus de formation doivent donc viser l’ouverture et le décloisonnement, ce qui milite pour des contenus de formation partagés entre ministères, à l’instar de ce qui existe déjà avec par exemple l’INHESJ (désormais IHEMI) pour les cadres de catégorie A et A+. Dans tous les cas, ils doivent sans doute faire intervenir des intervenants publics ou privés venant de divers horizons pour éclairer sur la complexité de l’environnement propre aux problématiques de sécurité publique et intérieure. 

Moderniser les modalités de formation

Compte tenu des évolutions sociétales qui ont conduit ces dernières années à placer le numérique au cœur de la vie personnelle et professionnelle des nouvelles générations (Y et Z), il est un enjeu que le ministère de l’intérieur ne peut esquiver compte tenu de la tranche d’âges de son recrutement : celui de l’attractivité des métiers de la sécurité, et donc des parcours professionnels proposés par la Police et la Gendarmerie nationales. Un levier essentiel réside dans la modernisation des modalités de transmission des compétences par la numérisation et la personnalisation des contenus, la prise en compte des acquis antérieurs et un libre accès aux ressources de formation.  

Cette nécessaire évolution est déjà lancée au niveau interministériel avec le projet de plateforme interministérielle d’e-learning MENTOR développée sous l’égide de la DGAFP et à laquelle le ministère de l’Intérieur a déjà souscrit. C’est aussi le cas de la DGEFP qui a pour objectif de moderniser la formation professionnelle. L’ambition est de rendre chaque agent acteur de sa formation en proposant des contenus diversifiés et innovants, sous forme numérisée, accessibles en tous lieux et en tout temps.  

La formation initiale et continue des forces de sécurité ne peut rester à l’écart de cette transformation profonde de la manière de délivrer de la formation. Concernant la formation continue, l’usage du numérique sous la forme de MOOCS1 par exemple est un levier efficace à intensifier afin de faire passer des messages et des compétences facilement assimilables. Cette solution permet d’étendre la formation à des agents sur le terrain qui sont donc peu disponibles. Ces MOOCS peuvent être certifiants et être utile à l’agent dans le développement de ces compétences pour l’évolution de sa carrière. 

Nous sommes convaincus que les opportunités sont nombreuses : hybridation des formations (partie en présentiel/partie en distanciel), virtualisation des contenus par la réalité augmentée (par exemple pour former sur des gestes techniques), serious game (pour rendre plus attractifs les contenus par la ludification),… autant d’évolutions que les organismes de formation du ministère de l’Intérieur intègrent et devront continuer à intégrer pour contribuer à une meilleure attractivité des métiers et des filières, alors que l’ambition affichée est d’accroître les effectifs et de mieux les former. 

En conclusion

La formation des forces de sécurité intérieure sera sans aucun doute au centre des débats sur la loi de programmation de la sécurité intérieure, destinée à décliner les impulsions données par le Président de la République lors du Beauvau de la Sécurité.   

Nous sommes convaincus que cette transformation profonde de la formation initiale et continue est structurante pour l’atteinte des ambitions du ministère de l’Intérieur, de la hausse effective du nombre de policiers et gendarmes à la mise en œuvre d’une nouvelle organisation nationale et territoriale des forces de police, en passant par le déploiement de grands projets numériques.  

Afin de garantir la réussite de ces chantiers, le ministère de l’Intérieur devra mobiliser la pleine capacité de ses ressources en matière de connaissance et d’évolution des métiers de la sécurité intérieure ainsi que dans la conduite de grands projets de transformation. Il devra également repenser une gestion moderne et performante des ressources humaines et approfondir ses actions en faveur de l’excellence managériale.  

En tant que leader du conseil indépendant en France et partenaire historique du Ministère de l’intérieur, Wavestone dispose d’une large expérience de transformations réussies dans les domaines de la sécurité intérieure et de la formation, et peut mobiliser des savoir-faire sectoriels, fonctionnels et méthodologiques pour relever ces défis majeurs.