« L’intensification de la concurrence est un puissant stimulant qui pousse les entreprises à se dépasser »
Dans chaque secteur d’activité, la compétition se fait plus intense, exacerbée parfois par les nouveaux entrants en provenance de la tech. Pour y faire face, les modèles opérationnels s’affûtent, les activités d’hier sont cédées, les acquisitions sont nombreuses pour renforcer les métiers les plus porteurs de croissance. Sophie Cassam Chenaï, Directrice du Numérique chez Le Parisien, partage sa vision.
Pourquoi la compétition s’est-elle intensifiée ces dernières années ? Comment s’explique ce phénomène ?
La compétition s’est intensifiée ces dernières années car nous sommes dans une double dynamique de mondialisation et de démondialisation.
D’une part l’économie est globalisée et libéralisée, c’est-à-dire que l’innovation se joue à l’échelle mondiale, que les talents technologiques peuvent se trouver dans tous les pays, notamment dans les pays émergents et que les marchés concurrentiels sont mondiaux. Ainsi apparaissent des géants dans la tech qui agissent à l’échelle mondiale comme les Gafas et la volonté de payer moins cher pour le consommateur prime.
Dans un même temps, nous assistons à une relocalisation de la création de valeur avec un recentrage des pays et des populations sur eux-mêmes dans un souci de protectionnisme, une relocalisation de l’innovation sur le territoire, la volonté de favoriser l’ancrage local et de protéger aussi notre environnement par ce biais (réduction de l’empreinte carbone). Les innovations locales sont donc favorisées et soutenues, le développement des PME ou des start-ups innovantes dans les régions l’est également pour favoriser les proximités. La préférence française et la préférence locale comptent dans le choix des produits, des marchandises et des services.
Cette compétition concerne tous les secteurs d’activité ?
La plupart des secteurs sont touchés, mis à part peut-être les services de l’Etat. Mais cette intensification de la concurrence est aussi un puissant stimulant qui pousse les entreprises à se dépasser, à créer les meilleures offres et à innover. La clé pour les entreprises, dans ce contexte concurrentiel fort, est de fidéliser leurs ressources humaines et leurs compétences clés qui sont un maillon essentiel sur lequel capitaliser.
Qui sont les nouveaux entrants sur le marché et quel est leur impact ? En particulier ceux provenant de la tech ?
Beaucoup de nouveaux entrants en digital ou en tech arrivent en créant une rupture de modèle sur leur marché, en simplifiant l’intermédiation ou en apportant un nouveau service. Ce sont pour la plupart de nouvelles marketplaces qui rebattent les cartes concurrentielles et changent les marchés. C’est le cas de services comme Uber ou Airbnb par exemple qui ont totalement modifié les règles de leurs marchés dans la façon d’avoir accès à un taxi ou à une location de vacances.
Il y a aussi tous les services digitaux qui jouent sur l’achat d’occasion ou le reconditionnement de matériel recyclé pour consommer plus durablement et plus local comme Le Bon Coin qui a facilité le commerce d’occasion de proximité ou plus récemment Back Market avec sa proposition de produits reconditionnés à des prix abordables.
Les nouvelles plateformes de musique comme Deezer ou Spotify ou les plateformes vidéo comme Netflix ou Amazone Prime sont aussi de nouveaux entrants qui ont créé leur marché.
Et puis tous les outils tech et solutions digitales qui permettent le travail à distance dans un contexte de pandémie sont aussi de nouveaux entrants ainsi que des plateformes facilitatrices dans ce contexte comme Doctolib qui a littéralement explosé en permettant les consultations médicales en ligne pendant le confinement.
Enfin, dans tous les secteurs, les entreprises opèrent souvent une transformation digitale en proposant leurs services désormais sur internet : les commerçants avec la vente en ligne ou les journaux et magazines avec des versions digitales et des articles réservés aux abonnés numériques. Cette transformation digitale est clé pour la survie de l’entreprise et la qualité du passage au numérique peut rejouer sa position sur son marché. Ainsi le premier sur son marché ne sera peut-être plus le leader après son passage en numérique. La réussite de sa transformation digitale est donc clé dans un contexte d’intensification de la concurrence.
Comment cette intensification de la compétition se traduit-elle pour les entreprises ?
La compétition a des effets positifs car elle génère une stimulation permanente, voire une redynamisation des marchés. Les entreprises intensifient alors leurs budgets en innovation ou en R&D pour tirer leur épingle du jeu et faire évoluer la qualité et l’originalité de leurs propositions pour mieux répondre aux attentes des utilisateurs.
La compétition est aussi souvent au service du pouvoir d’achat. En effet, qui dit concurrence intense dit souvent baisse des prix, ce qui fait plaisir au porte-monnaie de l’utilisateur final.
Enfin, un des axes des entreprises pour résister à l’intensification de la compétition est aussi la concentration via le rachat de solutions innovantes complémentaires ou de concurrents directs pour consolider sa position sur un marché et éviter de se faire dépasser. Cette concentration permet d’aller plus vite dans son développement, de s’offrir un axe de diversification complémentaire, un marché international, de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur sans être dépendant de prestataires tiers ou de mieux résister grâce à une force consolidée.
Le recrutement et la fidélisation des ressources humaines est aussi clé dans ce contexte. Il faut savoir attirer les talents et les garder dans un contexte de compétition intense. C’est un point positif pour les salariés, qui se retrouvent ainsi mieux considérés avec un plus grand équilibre entre vie personnelle et professionnelle, des rémunérations attractives et des facilités pour le télétravail. Au final, tout le monde y gagne : les salariés compétents se sentent mieux dans leur travail et sont donc plus efficaces. Ils sont la vraie force vive de l’entreprise pour résister dans un contexte d’intensification de la compétition.