Ces dernières années ont été marquées par un mouvement fort en faveur de l’ouverture des données publiques, au cœur de la stratégie d’Etat plateforme et levier de transparence de l’action publique. Ce paradigme est marqué par un foisonnement d’initiatives, allant de l’évolution du cadre juridique (Loi Valter de 2015 posant le principe de gratuité d’utilisation des données, Loi Lemaire de 2016 marquant le passage à un open data « par défaut » et la mise en œuvre du service public de la donnée…), à des rapports marquants dans le débat public posant la « donnée comme infrastructure essentielle » (Rapport Verdier de 2016) et comme un enjeu d’investissement dans des hub ouverts et interopérables (Rapport Bothorel de 2020). L’engagement de la France dans l’ouverture des données publiques a par ailleurs été rappelé par le Président de la République en décembre 2021 à l’occasion de la publication du 3ème Plan d’Action national du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (OGP).
L’ouverture des données est effective, mais pourrait aller plus loin
Cette impulsion est confirmée par des résultats prometteurs qui positionnent la France en 1ère position de l’Open Data Maturity Index de la Commission Européenne en 2021 en matière d’ouverture des données publiques, selon des critères de qualité des données, de maturité du portail national de publication, de maturité des politiques publiques et de qualité de la mesure de l’impact de l’open data.
Les actions de la mission Etalab de la DINUM ont été décisives pour accélérer la mise à disposition et la valorisation des données, notamment via Data.gouv.fr, produit commun ouvert à tous les acteurs pour publier les données ouvertes, le portage du service public de la donnée autour des jeux de données de références (cadastre, base adresse nationale, organisation administrative de l’Etat, associations,…), ainsi que par l’animation des administrations autour des thématiques d’innovation et de réutilisation des données, en s’appuyant sur un écosystème d’acteurs engagés (collectivités, associations,…).
Cependant, le bilan réel de l’open data reste en demi-teinte en comparaison du potentiel anticipé[1]. De nombreux acteurs semblent encore à la croisée des chemins concernant leur stratégie d’open data, tâtonnant entre l’objectif du respect des obligations règlementaires et d’une ouverture des données au service de la transparence de leurs actions, et celle d’une démarche orientée vers la conception de nouveaux services pour les usagers et entreprises, l’évolution des modes de faire et le renforcement des synergies avec des écosystèmes privés au travers de la réutilisation des jeux de données.
D’un open data « subi » à un open data « choisi »
Cette bascule d’un open data « subi » à un open data « choisi » et vecteur d’innovation représente le levier essentiel du passage à l’échelle. Il nécessite de modifier la perception d’une démarche appréhendée souvent comme un centre de coûts, car réclamant de faire évoluer les organisations et les cultures, de mettre en place d’une fonction de Chief data officier ou administrateur des données ou de définir de nouveaux rôles en matière de gouvernance de la donnée, au-delà des seules directions des systèmes d’information.
Pour justifier les investissements supplémentaires nécessaires (cartographie des données métiers, maintien des référentiels clés de la structure, prise en compte des enjeux de cybersécurité, ouverture du SI et APIsation pour passer d’une publication « par opportunité » des jeux de données à l’industrialisation de la mise à disposition des données, etc.) pour poursuivre l’ouverture des données et ainsi maximiser la valeur de cet actif, l’enjeu est d’apporter aux acteurs publics des illustrations concrètes des bénéfices qu’il est possible d’en retirer pour eux-mêmes et pour les usagers.
La DINUM comme chef d’orchestre de cette nouvelle étape
La DINUM dispose d’une vision globale et d’une connaissance du patrimoine de données publiques qui la positionne dans une situation privilégiée pour servir de catalyseur de démarches transverses auprès des services de l’Etat en central comme en déconcentré, mais également des autres acteurs publics et du secteur privé. Elle pourra jouer un rôle majeur pour inventer les nouveaux services de demain, augmentés par la donnée, dans une logique d’administration proactive.
Cette démarche de mise en place d’un cadre d’innovation autour de la donnée ouverte impliquerait une évolution de l’offre de service de la DINUM, se positionnant en inspiration et aide à la valorisation des données, tout en préservant l’autonomie des acteurs et des experts métiers. Cet appui pourrait prendre la forme concrète d’animation de Hackathons permettant de faire rencontrer des écosystèmes de start-ups numériques et acteurs publics pour imaginer des nouveaux services à partir des données ouvertes ; il constituerait en outre une opportunité « marketing » de valoriser les communs mis à disposition par la DINUM autour de Data.gouv.fr et de capter les besoins d’évolution auprès des partenaires. Dans ce contexte, la construction du réseau des Administrateurs ministériels aux données est un atout pour mettre en œuvre ce type de démarche et coordonner les actions entre les différentes politiques publiques.
En complément, la DINUM doit continuer à jouer le rôle d’effet levier pour les projets de construction de socles et hub de données ouvertes, par la mise à disposition de capacités (ex : programmes EIG[2]) et sa contribution aux programmes de co-financement (FRAP, Plan de relance, …) pour faire passer à l’échelle les projets prometteurs et faciliter le partage des données entre acteurs. La question du modèle économique, surtout dans le cadre de projets mobilisant par définition plusieurs acteurs, représente un frein à l’atterrissage des projets d’ouverture des données du fait du principe de gratuité qui limite la capacité à financer par l’usage des données leurs coûts initiaux de mise à disposition. La DINUM devra accompagner le développement de nouvelles gouvernances ouvertes et participatives, réunissant acteurs publics et privés permettant de partager les investissements entre acteurs en charge de la production et de l’industrialisation de l’ouverture des données et les usagers de ces dernières, amenant une évolution davantage partenariale dans la relation entre administrations, orientée vers la valorisation d’un produit commun et des doctrines de gouvernance des données (sur le modèle par exemple du programme de cartographie du territoire par les données LIDAR porté par l’IGN[3], qui mobilise les clients du « géo-commun »). Ce type d’approche a pour avantage de garantir le potentiel de réutilisation avec les « clients » potentiels des nouveaux jeux de données avant d’engager des investissements importants. L’appui concret de la DINUM dans ce type de démarche pourrait prendre la forme d’identification de synergies possibles entre les différents acteurs et un rôle de conseil dans la conception de ces nouvelles gouvernances (stratégie d’achat, mode de financement, modalités d’intégration d’acteurs privés dans le tour de table, etc.).
Cette évolution nous semble constituer un pas nécessaire afin de tirer pleinement profit de l’ouverture des données.
Notes
[1] “The Economic Impact of Open Data Opportunities for value creation in Europe”, European Data Portal, 2020