Raja Koduri, responsable du Accelerated Computing Systems and Graphics Group d’Intel, a déclaré qu’une expérience Metaverse proche de celle de « Ready Player One » de Steven Spielberg nécessiterait une infrastructure informatique mondiale 1000 fois plus puissante que celle dont nous disposons actuellement.

Internet dans sa forme actuelle n’a pas été conçu pour la communication peer-to-peer en temps réel. Particulièrement lorsque la communication prend la forme de connexions directes, mises à jour continuellement entre de nombreuses personnes. Le Web2.0 avec ses réseaux sociaux et leurs messageries instantanées n’y a pas changé grand-chose. Même les améliorations en termes de connectivité (fibres, 4G, WiFi 5) peinent à accroître le nombre de participants simultanés aux sessions d’échanges. À titre d’exemples : les consoles de dernière génération permettent seulement jusqu’à 128 joueurs sur une même session du jeu Battlefield 2042 et malgré la puissance du Cloud Microsoft, une même réunion Teams ne peut accueillir plus de 1000 personnes. Le Web tel que nous le connaissons n’est pas structuré pour supporter le niveau des connexions nécessaires à un Metaverse tel que nous l’imaginons.

Mais la puissance et la stabilité des connexions ne sont qu’une part du challenge de la construction du Metaverse. Des projets avancent depuis des années et commencent à arriver à maturité, à la veille ou l’avant-veille de l’adoption.

Les acteurs du Metaverse

Nous sommes entrés depuis un an dans une période d’investissements massifs sur le sujet. Alors que l’excitation et le battage médiatique autour du Metaverse commencent à toucher le grand public, les grandes entreprises font déjà leurs paris et les capitaux privés affluent également dans les start-ups dédiées à ce futur marché.

Depuis quelques années, les GAFAM ont saisi l’importance et l’opportunité business que représente le Metaverse. Meta (ex-Facebook) de prime abord, avec sa vision radicale du Metaverse. L’entreprise mise sur l’immersion totale avec des équipements VR et AR. Alphabet montre moins de volonté sur le sujet suite à l’échec des premières Google Glasses il y a quelques années. Cependant, le groupe se concentre sur le développement d’un nouveau casque AR ainsi que de la partie software notamment via l’acquisition d’entreprises du domaine comme « North », spécialiste de la réalité augmentée. Apple travaille également sur un casque de réalité mixte qui devrait être annoncé rapidement si l’on en croit les derniers dépôts de brevets. Enfin, Microsoft est aujourd’hui le leader de la réalité mixte avec l’HoloLens 2. Le dispositif est déjà utilisé dans de nombreux domaines (santé, industrie, etc.). L’entreprise ajuste également son positionnement par le biais d’investissement stratégiques exceptionnels.

Au niveau infrastructures, le géant Nvidia se focalise autant sur le hardware que sur son moteur de conception d’univers connectés pour les jumeaux numériques.

Les acteurs du divertissement ou du retail commencent à se saisir de l’opportunité. Zara en Corée du Sud, par exemple, avec des vêtements vendus à la fois dans le monde réel mais aussi pour des avatars en ligne. Ou encore Disney qui a déjà déposé un brevet pour la création d’attractions interactives monde réel/Metaverse dans ses parcs.

Sur notre territoire, certaines grandes entreprises et startups ont investi le domaine. Carrefour, par exemple a ainsi acheté un bout de terrain dans The SandBox pour 300 000€. Autre exemple, Powder, une jeune entreprise qui se veut être la « caméra du Metaverse ». Leur technologie utilise l’enregistrement vidéo et l’intelligence artificielle pour détecter et capturer automatiquement les moments forts des joueurs et les partager à d’autres.

Cette variété de typologie d’acteurs permet la construction d’un véritable écosystème. De l’infrastructure à l’écosystème applicatif, nous allons parcourir les composantes principales du Metaverse.

L’infrastructure, les fondations du Metaverse

Des acteurs aux typologies métiers diverses sont nécessaires pour constituer le socle nécessaire au Metaverse. Ainsi, les fournisseurs de services cloud (Microsoft, AWS, OVH) doivent faire évoluer rapidement la puissance de calcul disponible tout en assurant une gestion plus fiable et rapide des données. Les fournisseurs d’Accès à Internet (comme Orange et Vodaphone) devront, de leur côté, renforcer et adapter leurs réseaux aux nouveaux prérequis et travailler ensemble pour assurer la sécurité, la fiabilité et l’interopérabilité nécessaires au Metaverse.

L’un des enjeux clefs d’une infrastructure « Metaverse-ready » est la réduction de la latence. Un vrai défi lorsque les ensembles de données sont aussi volumineux que ceux créés par le Metaverse. Il est donc nécessaire de mettre en place une infrastructure à la périphérie (Edge) capable de traiter les données directement sur le terrain. L’entreprise Fastly propose avec ce type d’infrastructure, de transférer 145 téraoctets de données par seconde dans 28 pays. Une avancée non négligeable pour la construction du Metaverse.

Concernant le reste des technologies requises pour consolider l’infrastructure hardware du Metaverse, il est évidemment question de la 5G, des capacités du WiFi-6, de la gravure en 1,4nm, de l’ARM et des GPU toujours plus puissants.  Ci-dessous, l’ensemble des technologies motrices et l’infrastructure nécessaire au Metaverse

Les technologies motrices

En sus des besoins d’infrastructure, il existe un ensemble de technologies motrices et transverses à de nombreux cas d’usages du Metaverse. Justement, une des principales clés pour lancer le Metaverse est la partie transactionnelle. En effet, les échanges financiers reposent sur les technologies blockchain et crypto qui fournissent le mécanisme d’échange de valeurs, d’identité, de suivi et de propriété numérique. Les blockchains fournissent un grand livre décentralisé pour toutes les transactions entre les parties prenantes d’un réseau peer-to-peer classique. Cette technologie fournit les capacités sous-jacentes pour permettre l’échange de valeurs via les crypto-monnaies et la création d’actifs numériques tels que les jetons non fongibles (NFT). L’enjeu du Metaverse est évidemment d’harmoniser les échanges et garantir l’interopérabilité entre les univers et le monde réel.

Les besoins fonctionnels, le cœur de l’usage du Metaverse

Avec de solides fondations, peuvent se construire les piliers de l’écosystème du Metaverse. Ci-dessous, un aperçu des piliers de l’écosystème du Metaverse.

Pour commencer, le Metaverse ne s’adresse pas toujours directement à un individu mais parfois par le biais de son avatar. Son double numérique. Afin d’évoluer dans les expériences les plus proches du « 100% virtuel » du Metaverse, il est impératif de donner à l’utilisateur un sentiment d’incarnation. Sous la forme d’un avatar qui lui est propre.

Dans ce domaine, Genies , une start-up américaine, met à disposition des avatars que les utilisateurs peuvent personnaliser. Le but étant de pouvoir garder cet avatar qu’importe l’univers où l’utilisateur se meut dans le Metaverse. C’est ici la grande différence entre un avatar dans un jeu et un dans le Metaverse. Sur le même segment, la start-up française Kinetix permet, à partir d’une vidéo, de créer un avatar 3D totalement animé.

Après avoir obtenu son avatar, l’utilisateur doit pouvoir interagir avec le Metaverse. Le contenu devient donc une nécessité. Le temps d’attention étant une ressource rare et hautement concurrentielle, le Metaverse se doit de pouvoir proposer du contenu, en quantité et de qualité. Dans la création de contenu, il existe 3 composantes importantes : l’outil de création, le créateur et l’espace de consultation du contenu.

Sur les outils de création, le français The Sandbox qui attire de nombreuses marques (Gucci, Adidas, Warner Music, Ubisoft, HSBC…) ou le phénomène Roblox (récemment utilisé par Nike pour son propre univers) en sont de parfaits exemples. De nombreux studios de jeux-vidéos s’attèlent à pouvoir créer des expériences sur le Metaverse. Epic Games voit d’ailleurs Fortnite comme un hub d’expériences. C’est un endroit pour jouer, passer du temps avec des amis ou regarder un film…

Qui dit espace de création, dit créateurs, entreprises ou particuliers. Des géants comme Disney, le constructeur Ferrari, Nike ou encore LVMH créent du contenu pour alimenter le Metaverse. Côté artiste, le concert de Travis Scott sur Fortnite a réuni par exemple plus de 12 millions de spectateurs.

Pour consulter et échanger sur les contenus, les réseaux sociaux seront toujours les plateformes de prédilection. Instagram / Youtube / TikTok pourront donc proposer des vidéos, des espaces 3D, expériences via des outils proposés par les GAFAM.

Afin de proposer une infrastructure solide et des expériences passionnantes, le Metaverse doit se financer. Il ne faut pas négliger la partie économique du Metaverse. Elle sera le véritable poumon de son développement et s’articulera autour de nombreuses thématiques. Pour les marques, le Metaverse est un nouvel outil de marketing, de valorisation de la marque, ainsi qu’un nouveau canal de vente qui n’a pas de frontières physiques. En tant que tel, il peut apporter un nouveau sens au retail et à l’expérience client. Certaines marques ont déjà de nouvelles business units dédiées au Metaverse (comme Havaïanas qui a fait du Metaverse, son nouveau terrain de croissance).

Les clients ne se contenteront pas de faire du “shopping” dans le Metaverse, mais chaque expérience vécue offrira une opportunité de vente intégrée. Plus qu’un nouveau canal, le Metaverse devient un réel marché sans limite de conception et d’approvisionnement du monde réel.

Cependant, la courbe de compréhension des enjeux et de l’apprentissage par les marques grand-public B2C est très forte. C’est presque un pas vers l’inconnu. Le tout, s’adressant non plus directement au consommateur, mais à son avatar.

Enfin, pour naviguer en toute sérénité au sein du Metaverse, la sécurité et le respect de la vie privée sont au cœur des préoccupations des utilisateurs. Le Metaverse induit l’utilisation de devices (ordinateurs, casques…), de nombreuses données personnelles ou encore la création d’une identité bis. De nombreuses étapes sont nécessaires pour assurer la sécurité des utilisateurs et les rassurer. Par exemple : créer un mécanisme d’évaluation pour un accès et une utilisation adaptée à l’âge des utilisateurs, protéger contre les logiciels malveillants, sensibiliser aux cybermenaces, renforcer la protection et l’accès à son double numérique.

Par ailleurs, il est impératif de réfléchir à la manière dont les internautes pourront s’identifier dans le Metaverse. Actuellement, la solution la plus attendue repose sur des mécanismes basés sur la blockchain pour vérifier l’identité. Cette dernière offre des possibilités évidentes, mais il convient de noter que des vulnérabilités existent. La nature décentralisée de la blockchain suscite des inquiétudes quant à l’impossibilité de récupérer les actifs acquis par des criminels. Il y a donc un vrai travail sur l’éducation à la cybersécurité pour les futurs utilisateurs du Metaverse. Les grands acteurs de la cybersécurité s’attèlent déjà à la tâche. On peut penser à Palo Alto, Sectigo ou Zscaler qui mènent les discussions à propos de la sécurisation du Metaverse.

La cybersécurité du Metaverse reposera donc sur le mélange intelligent d’outils de sécurité et d’une sensibilisation appropriée.

Conclusion

D’ici 2026, Gartner estime que 25% de la population mondiale passera au moins 1 heure par jour dans le Metaverse.

La communauté du Metaverse est aujourd’hui en ébullition et de nombreux acteurs sont déjà actifs sur le domaine. Aussi bien les géants de la tech, de grandes marques de divertissement, du retail mais aussi de nombreuses start-ups qui naissent en même temps que le concept. Il existe de nombreuses composantes essentielles pour assurer son entière capacité de fonctionnement, ainsi l’infrastructure requise pour un tel service nécessitera l’alignement et la synergie des fournisseurs de puissance de calcul, de cloud et d’accès.

Le tout afin de fournir un socle suffisant à la création d’un écosystème extrêmement riche et varié servant des cas d’usages tout aussi variés et quasi infinis. En effet, il convient de rester humble et pragmatique quant à l’évolution des usages du Metaverse. Tous ceux annoncés n’en seront peut-être pas et de nombreux autres sont à découvrir. Ce dernier va réinventer et impacter tous les secteurs et entreprises que nous connaissons. Les prédictions de la taille du marché du Metaverse en 2030 sont comprises entre 1 000 et 13 000 milliards de dollars. L’incertitude quant à son ampleur exacte à venir, quoiqu’il en soit aboutissement d’une croissance très importante, montre bien que tous les cas d’usages et l’évolution du Metaverse sont encore loin encore d’être complètement identifiés.

Les nombreuses composantes du Metaverse sont en train de se mettre en place. En raison de la diversité des matériels, logiciels et données qui le constitueront, il est indispensable de préparer en profondeur l’interopérabilité du Metaverse ; ce que nous verrons en détail dans notre prochain article.

Ci-dessous, vous trouverez un aperçu des composantes du Metaverse. De l’infrastructure à l’écosystème.

À suivre prochainement

  • L’interopérabilité et la décentralisation, pré-requis du Metaverse
  • Comment tirer avantage de la construction du Metaverse 


Nous remercions Hugues Eichinger
pour sa contribution.