Très en vogue il y a encore quelques mois, les concepts de métavers et de Web 3.0 semblent avoir moins bonne presse ces dernières semaines. Ce qui pourrait inciter le monde du luxe, qui a pourtant osé s’aventurer avec quelques jolis succès dans ce nouvel univers – pensons à Gucci Vault ou aux “NFTiff” de Tiffany-, à rester en 2023 prudemment observateur du phénomène, en attendant qu’il prenne réellement son essor… ou s’écrase.
Les récents déboires de Meta, la maison-mère de Facebook, fervente avocate de l’Internet du futur, ou la chute des cryptomonnaies doivent cependant être sagement remis en perspective. Et ne sauraient légitimement servir d’excuses pour masquer le potentiel du métavers et du Web 3.0 pour le luxe.
Un potentiel d’autant plus séduisant que ce nouveau terrain d’aventure et le luxe partagent, sans en avoir réellement conscience, les mêmes codes intrinsèques. En effet, les deux mondes ont les notions d’exclusivité et de personnalisation imbriquées dans leur ADN réciproque. C’est l’essence même du luxe, à laquelle font écho dans le virtuel les jetons non fongibles (NFT) notamment. Des NFT qui assurent traçabilité et propriété, autres éléments cruciaux pour le luxe, en lutte contre les contrefaçons.
Fidélisation et expérience client
Tous deux jouent aussi sur la désirabilité. L’expérience client soignée, signature identitaire des maisons, trouve un prolongement dans les réalités augmentée (éléments virtuels superposés au réel) et virtuelle (univers immersif en 3D), avec une potentielle dimension esthétique dans la théâtralisation du produit. Ils partagent également la notion d’adresses prestigieuses. Si le luxe a l’avenue Montaigne ou la place Vendôme, le métavers compte, lui aussi, ses adresses d’exclusivité, des quartiers géographiques virtuels très sélectifs comme ceux, thématiques, en train de se former dans The Sandbox avec des emplacements premium en nombre limités.
La résonance directe entre les deux univers, technologique et luxe, semble donc assez naturelle, bien plus finalement qu’avec d’autres secteurs économiques. Alors, que faire ? Et comment ? Sans se tromper, le monde du luxe pourrait, cette année, commencer à investir deux axes en particulier.
D’abord, celui de la fidélité, qui peut être réinventée grâce au Web 3.0. Là où aujourd’hui, dans le monde réel, le panel de propositions d’attentions est relativement limité et généralement segmenté en fonction d’un historique d’achat, il est démultiplié dans le virtuel. Et offre des possibilités de personnalisation infinies.
En émettant des NFT thématisés autour d’une collection, d’un domaine artistique, d’un savoirfaire particulier, d’un centre d’intérêt précis…, les maisons pourront, par exemple, s’adresser à leurs clients de façon extrêmement ciblée et nuancée. Et proposer à ces communautés spécifiques des informations, des événements virtuels, des produits exclusifs dans cet univers alternatif… Une animation de communauté 3.0, à la granularité fine, en quelque sorte. Et côté attentions, tout est envisageable, comme un droit de vote sur les attributs d’un nouveau produit, l’accès à un évènement dans le monde réel ou dans le métavers, etc. Si dans le monde réel, la seule limite est le ciel, cet élément n’est même pas vrai dans le métavers !
Un autre axe qui ne demande qu’à être exploré est celui de l’expérience client. Les maisons transforment toute visite en boutique en un moment mémorable. Le métavers et le Web 3.0, avec leur dimension immersive, démultiplient les moyens de rendre l’expérience encore plus unique et inoubliable, par exemple avec des expériences sensorielles (le toucher « à travers l’écran » via les technologies haptiques, l’olfactif via la synthèse de senteurs, le son spatialisé via les oreillettes ou casques audio, etc.). Soit totalement dans le métavers, soit avec un lien fort entre le physique et le digital. Un phygital haut-de-gamme et sur-mesure pour soigner ses clients, petits ou grands, bien loin d’un e-commerce banal.
Mais pour réussir sur ce nouveau terrain de jeu, au-delà des simples effets d’annonce qui entraîneraient quelques reprises dans la presse, il est important de se poser les bonnes questions. Chaque maison doit se demander quel est son positionnement, quels sont ses propres enjeux. A la fois au niveau de la marque elle-même, mais aussi dans l’espace spécifique que représentent le métavers et le Web 3.0.
Cherche-t-elle à rajeunir une base client ? Conquérir de nouveaux marchés, ou tout simplement renforcer sa désirabilité sur des marchés clés, notamment asiatiques, particulièrement friands en digital ? Veut-elle développer une expérience phygitale encore plus avancée ? Il est essentiel de définir un objectif précis pour l’univers virtuel, cohérent avec la stratégie de la maison, sans être nécessairement identique.
Là où les maisons ont une belle carte à jouer, c’est dans leur possibilité d’investir beaucoup dans la création artistique. J’ose l’analogie avec l’univers des jeux vidéo : en investissant dans le développement de véritables studios, l’industrie du luxe a les moyens d’aller très loin pour décliner l’univers de la griffe dans cet espace encore vierge.
Il faudra cependant veiller à évaluer la disponibilité et la maturité des technologies en fonction des enjeux définis. Il est déjà possible de concevoir des boutiques virtuelles dans le métavers, mais quel degré de rendu convient à chaque maison ? Les technologies se qualifient-elles selon les critères de qualité de l’expérience requis par la marque ? Une veille écosystème active des technologies semble être un minimum pour démarrer 2023. Et disposer de bons interlocuteurs pour comprendre et maîtriser les codes du métavers et du Web 3.0 tout en respectant l’identité de la maison est essentiel. En 2023, l’enjeu pour le luxe sera finalement d’appliquer dans sa stratégie digitale ce qu’il fait si bien pour ses clients : faire du sur-mesure, avec audace et inspiration.