Pour la cinquième année consécutive, Wavestone est partenaire des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence organisées par le Cercle des économistes. Forum économique incontournable en Europe, elles regroupent 6 000 participants autour de sessions et débats faisant intervenir plus de 350 personnalités de haut niveau et de tous horizons. Le thème de l’édition 2023 : « Recréer l’espoir ». C’est pour cette occasion que Cédric Baecher, présent aux Rencontres Économiques, s’est penché sur la problématique suivante : la transformation durable est-elle (vraiment) en marche ?
Nouvelles règles du jeu en matière de reporting extra-financier, trajectoires ambitieuses des entreprises pour la décarbonation de leurs activités, irruption de la RSE aux plus hauts niveaux de décision et de gouvernance, ainsi que dans l’ensemble des fonctions et métiers… Quel rôle les entreprises ont-elles à jouer dans la transformation durable et où en sont-elles vraiment ?
« La transformation durable des entreprises est incontestablement en marche, en réponse aux nombreuses attentes exprimées par les parties prenantes. Toutefois, dans un environnement économique qui demeure incertain, le risque de dépriorisation de la RSE demeure bien réel, et incite à la plus grande vigilance pour maintenir le cap et continuer d’allouer les ressources nécessaires (financières, techniques, organisationnelles, et surtout humaines). Nous sommes bel et bien entrés dans la phase opérationnelle de la transformation durable, engagée sur le long terme. Il faut certes continuer à dialoguer pour analyser les risques et les opportunités, définir les bons niveaux d’ambition, éclairer la prise de décision ; mais il faut aussi et surtout aligner les méthodes et les outils, fiabiliser les données, exécuter les plans d’action et mieux mesurer leurs impacts réels. Sans perdre le sens global de cet important changement de paradigme… »
Cédric Baecher, Partner Sustainability, Wavestone
Une transformation en marche avec des ambitions élevées...
des entreprises interrogées considèrent leurs objectifs RSE comme à la hauteur des enjeux environnementaux et sociaux actuels
des entreprises ont intégré un représentant de la RSE au COMEX
SOURCE : BAROMÈTRE RSE 2023, WAVESTONE.
Le Baromètre RSE 2023 s’appuie sur les réponses de 134 représentants de la fonction RSE au sein de grandes entreprises françaises, recueillies entre mars et avril 2023. Cette étude a été menée en partenariat avec le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D).
Eric CAMPOS
Transitions & Energies CEO and CSR Head
Crédit Agricole
Au Crédit Agricole, la dimension sociétale n’est pas ajoutée mais réellement intégrée à notre modèle de création de valeur et de performance.
La transformation durable invite à un triple questionnement, portant sur l’empreinte des activités de l’entreprise (qui ne peut se résumer qu’à l’impact carbone), sur le contenu actuel et futur de son offre (pour répondre au mieux aux évolutions du marché), et sur sa réputation (composante essentielle de la valeur, face à des attentes de plus en plus fortes en matière de transparence). En complément de l’expertise RSE, la conduite de cette transformation requiert donc des compétences sectorielles et des savoir-faire fonctionnels pointus, pour permettre une approche concrète et interdisciplinaire.
Isabelle GUYADER
Chief Sustainability Officer
Decathlon
Je n’ai pas trouvé un seul métier qui ne soit pas impacté par la transformation durable : des concepteurs de produits aux acheteurs en passant par les fonctions de la finance et des RH… Tout le monde est concerné !
... à laquelle les entreprises sont insuffisamment préparées...
Si la transformation durable est bien en marche, les entreprises amenées à la déployer font face à plusieurs défis, illustrés par deux principales dissonances.
Premièrement, une dissonance entre les ambitions définies par les Directions Générales en matière de RSE (stratégies, feuilles de route), et les moyens alloués pour atteindre les objectifs associés. La mise en œuvre opérationnelle est ralentie par un manque récurrent de ressources.
seulement des entreprises déclarent que les moyens alloués à la politique RSE de leur entreprise sont suffisants pour atteindre les objectifs fixés
Deuxièmement, une dissonance entre la sensibilisation des équipes aux enjeux RSE (qui s’accompagne d’une volonté d’agir aux plans individuel et collectif), et le développement insuffisant des compétences et expertises requises pour se sentir véritablement en capacité d’actionner les leviers de la transformation durable.
1 répondant sur 10 met en place des formations obligatoires spécifiques aux métiers
des entreprises considèrent qu’une faible proportion de leurs collaborateurs détient des compétences RSE
SOURCE : BAROMÈTRE RSE 2023, WAVESTONE.
Le traitement des sujets RSE, complexes et transversaux, requiert une montée progressive en compétences, dans les équipes fonctionnelles comme dans les Directions RSE centrales. Si un effort de vulgarisation et de sensibilisation a bien été initié par de nombreuses entreprises, le volet formation demeure largement sous-estimé, alors qu’il constitue un levier essentiel pour garantir l’engagement des collaborateurs dans la durée, au plus près des réalités opérationnelles et des enjeux business.
Bertrand SWIDERSKI
Directeur RSE
Carrefour
La responsabilisation de l’ensemble des équipes permet à chacun de pouvoir initier des actions positives, en s’efforçant d’écouter les équipes terrains pour rester concret.
Le baromètre RSE 2023 fait également ressortir la nécessité d’un leadership clair (à tous les niveaux de management) pour entretenir la mobilisation des équipes dans la durée. La transformation durable est souvent freinée par la sur-sollicitation des équipes fonctionnelles : des actions d’accompagnement et de conduite du changement sont requises pour y remédier.
La RSE impose de relever des défis globaux mais également de traiter les enjeux localement, en tenant compte de contextes culturels variés et de différentes perceptions des priorités. Elle doit donc se nourrir d’une compréhension des réalités territoriales et des enjeux opérationnels de chaque fonction, pour atteindre des résultats concrets et pérennes. Dans ce sens, il apparaît essentiel de renforcer l’implication des filiales et des fonctions support dans les instances de coordination de la transformation durable.
Clémentine FISCHER
Head of ESG integration and philanthropy
AXA
Nos engagements en matière de transformation durable infusent progressivement dans tous les métiers. La Direction RSE conserve toutefois un rôle clé, pour maintenir une stratégie et un narratif cohérents, maintenir l’ambition et coordonner les efforts.
... et qui reste soumise à de multiples pressions
La transformation durable s’accélère et semble s’orienter vers un changement d’échelle, sous l’effet d’une forte mobilisation politique et d’un contexte favorable porté par la reprise économique post-Covid. Néanmoins, cette transformation s’opère dans un environnement complexe, soumis à de nombreux aléas qui invitent à la prudence et à l’anticipation stratégique.
Au plan réglementaire, l’harmonisation des règles et standards applicables en matière de reporting extra-financier est loin d’être acquise, malgré les efforts de convergence entre approches européenne et américaine notamment. L’incertitude juridique et les rapports de force sous-jacents (enjeu de compétitivité) s’accompagnent d’une complexité accrue pour les entreprises, avec le risque d’une « fragmentation » coûteuse des règles du jeu.
Au plan technologique, les solutions de décarbonation atteignent des degrés de maturité variables, et plusieurs défis restent à relever en matière de passage à l’échelle (faisabilité technique, validation des modèles économiques, disponibilité des ressources naturelles requises en quantités suffisantes, etc.). Les investissements associés demeurent souvent significatifs, là encore dans un contexte de risque et d’incertitude qui rendent les arbitrages complexes.
Au plan sociétal, les tensions avérées entre les dimensions sociale et environnementale de la transformation durable alimentent les débats politiques sur la « transition juste », la lutte contre les inégalités, la question des responsabilités individuelles et collectives, et plus généralement la notion d’acceptabilité de la transition énergétique et écologique. Ces tensions s’observent (à différentes échelles) aussi bien dans les pays industrialisés que dans le monde en développement.
Au plan géostratégique, les enjeux en matière de lutte contre l’inflation, de réindustrialisation, souveraineté et résilience économique conduisent à de nouveaux protectionnismes (parfois présentés comme des leviers de la transition énergétique et écologique). Cette dynamique, associée à une hausse de la conflictualité et à un accroissement des tensions sur l’accès aux ressources, pourrait partiellement freiner les ambitions en matière de transformation durable.