Tribune publiée sur le site de Stratégie le 22 février 2023
Du 24 au 27 mars 2022 se tenait dans l’univers virtuel Decentraland la première “Metaverse Fashion Week” (MVFW), rassemblant 108 000 participants et plus de 50 marques du luxe et de la mode, dont Dolce & Gabbana, Paco Rabanne, ou encore Tommy Hilfiger venues présenter leurs collections, organiser des présentations, des débats, des afterparties et des projections cinématographiques pendant quatre jours.
Malgré un bilan mitigé dû à des écueils d’organisation et une technique encore loin des standards de l’univers du luxe, cet évènement a mis en lumière la montée en puissance du marché de la mode virtuelle, et l’intérêt grandissant des marques envers les concepts de Web3 et de Métavers.
Et ce n’est pas en 2023 que cela va s’arrêter, puisqu’une deuxième édition plus ambitieuse se tiendra du 28 au 31 mars prochain, l’occasion de découvrir les dernières avancées des acteurs du luxe sur ce nouveau terrain de jeu.
Des synergies à explorer
Au-delà de l’élargissement d’un événement mythique aux mondes virtuels, la MVFW met surtout en évidence un réel potentiel de synergie entre le Web3, le métavers et le luxe, car ils partagent, sans en avoir réellement conscience, les mêmes codes intrinsèques. En effet, on y retrouve des notions d’exclusivité et de personnalisation imbriquées dans leur ADN réciproque. C’est l’essence même du luxe, à laquelle font écho dans le virtuel les jetons non fongibles (NFT). Les NFT assurent traçabilité et propriété, autres éléments cruciaux du secteur, en lutte contre les contrefaçons.
Un autre point commun est leur capacité à susciter le désir. Les réalités augmentées (éléments virtuels superposés au réel) et virtuelles (univers immersif en 3D) ont la capacité d’apporter une dimension esthétique essentielle à la théâtralisation d’un produit, prolongeant et démultipliant l’expérience client soignée que se doit de proposer une maison pour être légitime dans le secteur. Par ailleurs, ils partagent également la notion d’adresses prestigieuses. Le métavers propose des zones géographiques virtuelles exclusives, thématiques et très sélectives, comme celles en train de se former dans The Sandbox ou Decentraland, tout comme le luxe a l’avenue Montaigne ou la place Vendôme.
La résonance directe entre les deux univers, technologique et luxe, semble donc aller de soi, bien plus finalement qu’avec d’autres secteurs économiques. Dans ce contexte, comment les acteurs du monde du luxe peuvent-ils explorer cette opportunité de manière stratégique et efficace ? Pour répondre à cette question, il pourrait être judicieux pour eux, en 2023, de concentrer leur attention sur deux axes en particulier.
Fidélité et expérience client, des fondamentaux en mutation ?
Les opportunités sont bien présentes, mais pour réussir sur ce nouveau terrain de jeu, les pièges à éviter sont tous aussi nombreux. Il est donc essentiel de se définir des objectifs précis pour le métavers et le Web3, en cohérence avec la stratégie de la maison, sans en être nécessairement identiques. Rajeunissement d’une base client ? Conquête de nouveaux marchés ? Renforcement de la désirabilité sur des marchés clés, notamment asiatiques, particulièrement friands du digital ? Développement d’une expérience phygitale encore plus avancée ? Les possibilités sont nombreuses.
Pour autant, là où les maisons ont une belle carte à jouer, c’est dans leur possibilité de beaucoup investir dans la création artistique. En s’engageant dans le développement de véritables studios, l’industrie du luxe a les moyens d’aller très loin pour décliner l’univers de la griffe dans cet espace encore vierge. Comprendre et maîtriser les codes du métavers et du Web3 en mobilisant dès maintenant les bons interlocuteurs sont donc des prérequis pour amorcer le travail. Par ailleurs, il faudra bien veiller à évaluer la disponibilité et la maturité des technologies en fonction des enjeux définis pour éviter un rendu et une expérience en deçà des standards de la marque.
Un large terrain de jeu à s’approprier
Le premier axe est celui de la fidélité, qui peut être repensée grâce aux technologies du Web3. Alors qu’aujourd’hui, dans le monde réel, les options de fidélisation des clients sont relativement limitées et généralement basées sur l’historique d’achat, le virtuel offre, lui, des possibilités infinies de personnalisation et de diversification.
En émettant des NFT thématiques autour d’une collection, d’un domaine artistique, d’un centre d’intérêt précis ou d’un savoir-faire particulier, les maisons pourront s’adresser à leurs clients de façon extrêmement ciblée et nuancée. Et proposer à ces communautés spécifiques des informations, des événements virtuels, des produits exclusifs dans cet univers alternatif. Une animation de communauté 3.0, à la granularité fine, en quelque sorte. Et côté attentions, tout est envisageable, comme le choix des attributs d’un nouveau produit au travers d’un droit de vote, l’accès à un évènement dans le monde réel ou dans le métavers… Si dans le monde réel, la seule limite est le ciel, cet élément n’est même pas vrai dans le métavers.
Amplifier l’expérience client est un deuxième axe qui peut être exploré. Transformer une simple visite en boutique en un moment mémorable est une signature identitaire des maisons. Le métavers et sa dimension immersive ouvrent le champ des possibles pour rendre cela encore plus unique et inoubliable. Cela passe par des expériences sensorielles augmentées (technologies haptiques, son spatialisé, synthétiseurs d’odeurs, AR/VR…). Que ce soit entièrement dans le métavers, ou de façon hybride en mariant le monde physique et le monde numérique, ces technologies sont une réelle opportunité de se démarquer d’un e-commerce banal en créant une expérience phygitale et digitale haut-de-gamme et sur-mesure.
En 2023, l’enjeu pour le luxe sera finalement d’appliquer dans sa stratégie digitale ce qu’il fait si bien pour ses clients : faire du sur-mesure, avec audace et inspiration, tout en s’appropriant des événements comme la MVFW pour faire grandir leur notoriété dans les espaces numériques de demain.