Dans un contexte où la pression réglementaire s’accentue, les entreprises structurent de plus en plus leur politique RSE. Pour autant, les enjeux que représentent les achats responsables sont encore loin d’être pleinement maîtrisés.
Pourquoi la RSE devient-elle un incontournable de la stratégie d’achats des entreprises ?
Contexte et enjeux du marché
Depuis quelques années, un mouvement de fond est constaté concernant la mise en place de politiques RSE au sein des entreprises.
Un durcissement du cadre règlementaire
- La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) est une directive européenne signée en 2021 et qui entrera en vigueur dès 2024. Elle obligera les entreprises concernées (grandes entreprises, mais aussi PME cotées en bourse – environ 50 000 entreprises au total) à communiquer annuellement sur leurs informations relatives aux problématiques RSE.
- La Loi PACTE de 2019 a inscrit la RSE comme un sujet primordial pour l’ensemble des marchés. L’entreprise doit intégrer des préoccupations d’ordre social et environnemental, et contribuer positivement à la vie en société, tout en continuant ses activités commerciales et en maintenant sa viabilité financière. L’article 1833 du Code civil a été modifié afin que l’objet social de toutes les sociétés intègre la considération des enjeux sociaux et environnementaux.
- La norme ISO 26000 propose des lignes directrices pour mener une démarche RSE et permet d’évaluer l’engagement des organisations en faveur du développement durable ainsi que leur performance globale.
Un critère de choix pour les employés, consommateurs & investisseurs
- La politique RSE contribue à renforcer l’attractivité des entreprises et la rétention des employés. Près de 83% des salariés indiquent avoir plaisir à travailler dans leur entreprise si celle-ci déploie une stratégie RSE – Baromètre national de perception du MEDEF publié en 2020 (enquête réalisée en ligne auprès d’un échantillon de 1502 individus, représentatif de la population française salariée du secteur privé et âgée de 16 ans et plus).
- Les critères environnementaux et sociaux deviennent de plus en plus déterminants dans le choix final des consommateurs : 83 % des clients attendent des engagements RSE concrets des entreprises, liés à leur activité – étude Kantar publiée en 2022 (auprès de 33 000 consommateurs dont 1000 en France).
- Quant aux investisseurs, la prise en compte des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) est devenue primordiale dans leurs choix d’investissements. Avec le temps, la pression s’est accentuée sur les acteurs financiers pour qu’ils gèrent leurs portefeuilles d’investissements de manière plus responsable en intégrant des critères RSE dans leurs décisions : En 2017, 74 % des investisseurs institutionnels indiquaient agir sur le changement climatique et le percevoir comme l’une des principales tendances de long terme pour leurs investissements, un chiffre en augmentation de 8% par rapport à 2016 – étude de McKinsey publiée en 2020.
L’intégration de critères RSE au sein de la stratégie des entreprises s’accompagne de plusieurs bénéfices concrets. Par exemple, en matière de résilience de la chaîne d’approvisionnement et de limitation de certains risques financiers et juridiques (amendes et litiges) et des risques associés en termes de réputation. En outre, la mise en place de ces critères RSE dans le cadre d’achats responsables permet de contribuer à la pérennité et la rentabilité à long terme de l’entreprise. En effet, anticiper les attentes des parties prenantes dans le champ de la RSE permet de sécuriser la conduite des activités, d’éviter des coûts ultérieurs et d’être plus compétitif. On observe donc une prise de conscience progressive des entreprises sur les enjeux RSE et une intégration plus marquée de ces enjeux dans leur stratégie globale.
Plus de 83% des entreprises ont intégré la fonction RSE au COMEX – baromètre RSE Wavestone, Juin 2023.
Cette prise de conscience, accélérée par le renforcement du cadre réglementaire et la matérialisation de nouveaux avantages compétitifs, se traduit également dans la stratégie d’achat des entreprises, avec l’émergence de politiques d’achats responsables.
Que sont les achats responsables ?
Les achats responsables permettent d’intégrer la RSE tout au long du processus d’achat et tout au long de la chaîne de valeur, en intégrant notamment des critères de responsabilité sociale et environnementale. Il s’agit pour les entreprises de choisir des fournisseurs engagés dans la transformation durable et de les piloter, en intégrant des principes sociaux et environnementaux, cohérents avec les engagements du marché et les engagements RSE de l’entreprise.
Les enjeux de la stratégie d’achats responsables – Wavestone
La stratégie d’achats responsables intervient de bout en bout ; du processus de sourcing jusqu’au pilotage des fournisseurs et à leur accompagnement, pour faciliter leur montée en compétence en matière de RSE.
Les déclinaisons des achats responsables
Lors de la sélection des fournisseurs, certaines entreprises intègrent des critères RSE en s’appuyant par exemple sur des labels (ex : LUCIE, Engagé RSE et B corp) et outils comme Ecovadis. Des exemples de critères incluent :
- La prise en compte des équilibres de genre chez les fournisseurs (en termes de politique salariale, de possibilités d’évolutions de carrières, etc.)
- Le respect de la biodiversité et de l’urgence climatique (maîtrise des émissions de carbone des fournisseurs, par exemple au niveau de la logistique et des transports, promotion des approvisionnements locaux, etc…). Un regard particulier est porté sur les labels.
Critères de sélection de fournisseurs responsables – Wavestone
Les achats responsables ont également comme enjeu de renforcer la relation de confiance entre le client et ses fournisseurs. Pour cela il convient dans un premier temps d’évaluer la relation actuelle en s’appuyant sur différents critères et de mettre en œuvre des plans d’actions pour répondre aux axes d’amélioration identifiés.
Voici quelques exemples de critères d’évaluation de cette relation client/fournisseurs (critères utilisés par Wavestone au sein de questionnaires à destination des fournisseurs d’un client) :
- Le niveau de communication (fréquence des échanges, clarté des objectifs et des attentes, disponibilité et réactivité)
- La relation financière, notamment le respect des délais de paiements
- Les conditions contractuelles pratiquées
- Le niveau de qualité exigé par le client et la communication de celui-ci auprès du fournisseur
- L’évaluation du processus d’achat du client
- Les exigences du client en termes de RSE
- La capacité du client à encourager l’innovation auprès de ses fournisseurs (département R&D, co-conception encouragée, …)
Ces différents impacts au niveau de la stratégie d’achats des entreprises entraînent des répercussions directes sur les cellules de VMO (Vendor Management Office), qui ont pour rôle de soutenir la direction des achats et de piloter la qualité des prestations. Ces dernières doivent en effet, au-delà de l’intégration des enjeux RSE dans le choix des fournisseurs et le pilotage de la relation client/fournisseur, négocier des contrats avec leurs fournisseurs sur le long terme, afin d’établir une relation durable, favoriser l’innovation et disposer de leviers de négociation sur le coût des contrats.
Un engagement réciproque
Afin d’établir une politique d’achats responsable pérenne, il est essentiel de s’engager réciproquement auprès de ses fournisseurs dans une démarche d’amélioration continue mutuellement bénéfique. Cela peut passer par la signature d’une Charte Relations Fournisseurs Responsables, et par l’obtention de labels tels que le Label « Relations Fournisseurs & Achats Responsables » ou des labels évaluant le niveau de maturité RSE (PME+, LUCIE, Engagé RSE, B corp., …). La charte vise à inciter les entreprises à adopter des pratiques responsables vis-à-vis de leurs fournisseurs par le biais de 10 engagements pour des achats responsables.
Les 10 engagements de la charte relations fournisseurs responsables – Wavestone
Il est également important d’avoir une vision à 360° du niveau de maturité RSE, à la fois des fournisseurs, de leurs sous-traitants mais également des clients.
Les obstacles à surmonter
Le plus souvent, un changement fort de la culture de l’entreprise est nécessaire pour mettre en place une politique RSE intégrée à sa stratégie globale et couvrant notamment sa politique d’achats. Cela implique une remise en question des pratiques existantes et la mise en place de nouvelles valeurs, mais aussi de nouveaux outils et de nouvelles compétences. Il est donc important que cette mise en place soit incarnée par le Top Management et que la RSE soit un axe majeur de la stratégie globale de l’entreprise.
À l’heure actuelle, 50% des entreprises interrogées par Wavestone dans le cadre de son baromètre RSE 2023 ont intégré la fonction RSE au conseil d’administration – baromètre RSE Wavestone, Juin 2023.
Par ailleurs, la mise en place d’une politique d’achats responsables demande la mobilisation de ressources financières, humaines et techniques.
En effet, les entreprises doivent s’assurer de la traçabilité des matières utilisées en sélectionnant au mieux leurs partenaires et en s’assurant que ceux-ci respectent leurs engagements RSE, sur l’ensemble de la chaîne de production. Ils doivent ainsi déterminer l’origine des matières premières utilisées et s’assurer que leurs sous-traitants respectent ces mêmes engagements (cf. Loi sur le devoir de vigilance). De plus, l’augmentation du prix des matières premières durables est une autre contrainte économique, qui peut impacter la compétitivité des entreprises.
Pour finir, un autre obstacle qui peut être rencontré aujourd’hui est la difficulté à mobiliser l’ensemble des équipes pour déployer une stratégie d’achats responsables pertinente. En effet, 78% des entreprises interrogées considèrent qu’une minorité de leurs collaborateurs détient des compétences adaptées en matière de RSE – baromètre RSE Wavestone Juin 2023. Le manque de compétences est ainsi le premier frein remonté par les répondants à ce baromètre, concernant le pilotage et l’accompagnement de la transformation au sein des directions concernées. Le manque de moyens financiers et le manque de directives sont également mentionnés dans un second temps.
Baromètre RSE Wavestone, Juin 2023
Les bénéfices de la mise en place d’une stratégie d’achats responsables
Malgré ces obstacles, on peut observer de nombreux bénéfices qui poussent les entreprises à s’engager activement dans la transformation durable. Par exemple, en promouvant des pratiques éthiques chez ses fournisseurs, une entreprise peut prévenir les atteintes aux droits de l’homme, les problèmes de non-conformité et les risques de réputation. De plus, former une relation responsable avec ses partenaires sur le long terme permet d’intégrer des critères environnementaux à la chaîne de production, par exemple en matière de gestion durable des ressources. Ce qui peut conduire à l’obtention de certifications environnementales et favoriser une meilleure traçabilité.
Par ailleurs, la mise en place d’une dynamique RSE peut contribuer à une meilleure maîtrise des coûts sur le long terme, grâce aux économies sur certaines dépenses opérationnelles (eau, énergie). Par exemple grâce à l’utilisation de technologies plus économes en ressources, une gestion durable des déchets et la promotion de pratiques respectueuses de l’environnement.
Les achats responsables prônent une transparence réciproque entre l’entreprise et ses fournisseurs. Cela permet d’améliorer l’image de l’entreprise pour attirer des collaborateurs mais aussi développer de potentiels nouveaux marchés. Les initiatives responsables permettent aussi de mieux répondre aux attentes croissantes des investisseurs en matière de durabilité.
Les tendances à venir
Les transformations structurelles de la stratégie d’achats des entreprises vont se poursuivre et s’accélérer. Les modèles de sourcing, orientés depuis plusieurs années, vers une externalisation offshorisée massive sont progressivement remis en cause par la prise de conscience croissante des enjeux RSE et l’intégration de nouveaux enjeux en matière de résilience.
Les initiatives règlementaires en faveur de l’environnement vont également poursuivre leur développement. Le pacte vert pour l’Europe (un ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but de rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050) et le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat constituent des exemples concrets. En outre, les consommateurs et les investisseurs sont de moins en moins enclins à accepter une gestion “a minima” des sujets sociaux et environnementaux. Les exigences continueront donc à se renforcer pour des pratiques de plus en plus durables, y compris dans le cadre des processus achats.