L’intelligence artificielle peut permettre de mieux produire, mieux gérer et mieux consommer l’énergie. Une promesse qui ne se réalisera que si les choix industriels sont sûrs, robustes et pérennes.
C’est une petite révolution qui en annonce bien d’autres. Enedis (gestionnaire du réseau de distribution électrique français) a été primé cet été pour sa solution d’intelligence artificielle (IA) capable de prédire une panne sur son réseau. Son outil CartoLine BT a ainsi reçu un ISGAN Awards, qui récompense l’excellence en matière d’innovation au service des Smart Grids.
Concrètement, la solution d’Enedis analyse avec l’IA les données collectées par les compteurs Linky pour anticiper les incidents et suggérer des interventions sur le réseau basse tension, et ce, avant que les problèmes n’impactent le client. Plus de 95% des suspicions d’anomalies se sont vérifiées sur le terrain !
Une complexité inédite
Cette belle réussite illustre l’un des nombreux domaines dans lesquels l’IA peut venir aider les énergéticiens à mieux appréhender leurs infrastructures et leur patrimoine. Certes, ils n’ont pas attendu son arrivée pour modéliser de façon fine la production d’énergie et la consommation. Voilà des années qu’ils analysent les besoins de leurs clients pour mieux y répondre. Mais des phénomènes inédits viennent aujourd’hui complexifier le marché.
Ainsi, la montée en puissance des énergies renouvelables redéfinit le mix énergétique, moins maîtrisable que lorsqu’il se composait historiquement uniquement de grandes unités de production. Aujourd’hui, les paramètres sont nombreux, et, qui plus est, tout est maillé, interconnecté. Un petit nuage aux Pays-Bas ou une baisse de tension dans les Balkans peuvent avoir des conséquences sur le système énergétique au niveau européen…
Anticiper les mouvements
Côté consommation aussi, tout évolue vers plus de fragmentation. La concurrence se développe, même si elle a été un peu freinée par les prix de l’énergie ces dernières années. Les habitudes de consommation changent, avec notamment l’émergence de la mobilité électrique et bien sûr, dans un autre ordre d’idée, la vigilance des consommateurs sensibles à l’envolée des prix et au changement climatique.
Face à cette nouvelle donne, les acteurs industriels doivent adapter leurs approches tant côté production que consommation. Et l’IA a toute sa place pour les aider à accélérer leur compréhension de ces mouvements, et même à les anticiper pour mieux les gérer.
Au niveau de la production d’énergie, par exemple, l’IA porte des clés d’optimisation. Le secteur utilise déjà des supercalculateurs pour intégrer les données météo, les données historiques sur la demande, les prix de l’énergie… Mais les capacités d’analyse et de prédiction en temps réel de l’IA vont permettre d’amener de nouveaux paradigmes sur l’équilibre offre/demande, pour permettre des arbitrages originaux et mieux éclairés, et une meilleure utilisation des ressources.
Apprendre des autres régions
Il en sera de même pour la demande. Les modèles de prévision actuels sont puissants mais rigides, et ils doivent intégrer les nouveaux usages de consommation ainsi que la donne climatique incertaine. L’IA vient apporter de la souplesse, de la richesse, là où les algorithmes classiques montrent leurs limites.
Aujourd’hui, par exemple, les vagues de chaleur sont inhabituelles, localisées, avec des conséquences difficilement anticipées. Les énergéticiens sont en train de récupérer de la donnée issue de zones comme la Californie, l’Australie, qui ressemblent à ce que pourrait être l’avenir en France, pour nourrir l’IA et lui permettre de créer des modèles prédictifs beaucoup plus fins.
Permettre les bons arbitrages
Un autre champ non négligeable est celui de la conception de systèmes énergétiques innovants. Aujourd’hui cohabitent des unités de production historiques, des consommateurs qui deviennent producteurs avec des panneaux photovoltaïques sur leur toit, du stockage, de la recharge différée, etc. Le système se complexifie, et passe de linéaire à une forme de toile d’araignée très dynamique.
Il est donc indispensable de définir de nouveaux réseaux, ce qui implique de très nombreux calculs et modélisations intégrant des dimensions techniques, mais aussi économiques et sociétales. Ainsi, lorsqu’un grand champ photovoltaïque est implanté dans un espace rural, il faut trouver comment adapter un réseau énergétique dimensionné jusqu’alors pour une faible consommation et pas de production. L’IA peut venir aider à réaliser les bons arbitrages, comme elle peut le faire par ailleurs dans les situations d’urgence, en suggérant comment restaurer un réseau détruit par une tempête par exemple.
Des écogestes sur-mesure
Gourmande énergétiquement, l’IA a pourtant un rôle substantiel à jouer dans la sobriété écologique. Elle peut surveiller les schémas de consommation d’énergie des bâtiments ou installations industrielles, identifiant les opportunités d’économies et les meilleures pratiques pour optimiser l’efficacité énergétique.
Même chose chez les particuliers, où elle pourrait personnaliser les écogestes en fonction du mode de consommation effectif de chacun, mesuré en temps réel. Elle peut intervenir dans le “smart charging” (recharge intelligente), cette façon de recharger son véhicule électrique au moment le plus opportun en intégrant les besoins du conducteur, le prix de l’énergie, la charge du réseau, tout en préservant la vie de la batterie.
Enfin, l’IA s’invite dans les laboratoires de R&D pour les aider à franchir des étapes pour l’instant insurmontables avec les technologies traditionnelles sur les sujets d’isolation, de batteries, de panneaux photovoltaïques…
Des règles de prudence pour un secteur vital
Les énergéticiens sont aujourd’hui mobilisés sur la question de l’IA. La France peut d’ailleurs être fière de son écosystème d’innovation. Tous travaillent sur le sujet, expérimentent avant de déployer à plus large échelle, comme le fait Enedis avec sa solution d’IA désormais testée sur le réseau HTA des lignes aériennes moyenne tension.
Mais la nature même de ce secteur – vital pour l’économie – fait que ces avancées se feront avec une grande prudence, si et seulement si certaines conditions sont remplies : un cadre sûr côté cybersécurité, des règles très claires sur les sujets de données personnelles, et des partenaires dignes de confiance et préservant la souveraineté.
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