Le Club les Echos Débats en partenariat avec Wavestone recevait le 22 janvier 2020, Laurence Boone, Chef économiste de l’OCDE et Philippe Martin, Président délégué du Conseil d’analyse économique « Le débat des économistes ».

Laurence Boone, Chef économiste de l’OCDE depuis 2018, est diplômée de l’université de Reading, de l’université de Paris-X Nanterre, ainsi que de la London Business School où elle obtient un doctorat d’Économétrie Appliquée en 1995. Économiste engagée, elle devient Chef économiste de Barclays Capital France, puis Directrice générale des Études économiques européennes à Bank of America Merrill Lynch, avant de rejoindre le groupe AXA. De juillet 2014 à mars 2016, elle est nommée au poste de conseiller économique et financier à l’Élysée, avant de devenir conseillère spéciale pour les affaires économiques et financières multilatérales et européennes auprès de François Hollande.

Philippe Martin, Président délégué du Conseil d’analyse économique (CAE), est diplômé de Science-Po Paris, de l’université Paris-Dauphine, et de Georgetown (Washington DC.), où il obtient un doctorat d’économie en 1992. Aisément aguerri à la sphère professorale (Sciences-Po Paris, Research Fellow au Center for Economic Policy Research à Londres, codirecteur du programme de macroéconomie du CEPREMAP, université Panthéon-Sorbonne, École d’économie de Paris, Graduate Institute de Genève, …), il fut auparavant économiste à la Federal Reserve Bank of New York. De juillet 2015 à août 2016, il travaille en tant que conseiller d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, et encore davantage, pendant sa campagne présidentielle.

Un premier panorama d’une France marquée par les stigmates de deux épisodes sociaux déterminants, dans un contexte socio-économique instable : taxe carbone et réforme des retraites

Philippe Martin met d’abord en garde face au consensus illusoire prônant que davantage de pédagogie permettrait d’asseoir les réformes de façon stable et unanime. En France, l’adoption dans la douleur des réformes n’est pas, ou du moins pas uniquement, le fait d’un déficit d’enseignement économique d’une partie de la population. Le clivage socio-économique français ne joue pas en faveur d’un accord unanime des réformes, avec ou sans pédagogie. Alors que la réforme du marché du travail s’est déroulée sans friction, celles de la taxe carbone et des retraites ont souffert et souffrent encore de larges mouvements contestataires. La raison : l’écart perçu entre le discours de la campagne présidentielle et la mise en place effective. Alors que la taxe carbone, motivée par les économistes, promettait de modifier le comportement des français, elle fut davantage perçue comme un moyen supplémentaire d’accroitre les revenus de l’état.

Pour Laurence Boone, la taxe doit s’inscrire au cœur d’une logique redistributive. Elle ne manque pas de mettre en évidence que le succès de cette réforme, dans les pays de l’OCDE, tient de la redistribution des revenus aux entreprises et aux ménages les plus pénalisés.
Quant aux retraites, une telle réforme ne peut s’opérer sur le court terme c’est pourquoi dans un nombre de pays de l’OCDE elles sont souvent initiées en début de mandat. Il est juste que cette réforme aspire à plus d’équité au sein de la population (par la fusion des régimes spéciaux), à l’équité intergénérationnelle (pour garantir la stabilité des cotisations pour les générations à venir), ainsi qu’à davantage de solidarité (en soutenant notamment les carrières interrompues : chômage, maternité).

Pour Philippe Martin, la difficulté repose sur la volonté d’ajouter des réformes paramétriques d’équilibre budgétaire, à une réforme systémique visant à l’universalité du système de retraite.

Comment analyser le manque de diplomatie politique de Trump, notamment à la suite des menaces de rétorsion commerciale contre l’Europe, récemment exprimées à Davos ?

Eu égard à la criticité du contexte diplomatique international, Laurence Boone s’inquiète, encore une fois, de l’attitude américaine vis-à-vis de la gouvernance multilatérale depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Du cadre historique et fragile de coopération internationale, connu jusqu’alors, encourageant les discussions collégiales entre les gouvernements, les Etats-Unis ont agi avec des offensives bilatérales, et non plus multilatérales, fragilisant les moins forts économiquement. Le Mexique, la Chine, puis l’Europe, ce changement dans la régulation internationale va affecter de manière structurelle notre Société : négociations, échanges commerciaux, organe de règlements des différends internationaux. Un véritable changement de paradigme donc, qui va modifier les facteurs structurels de la mondialisation, en outre les échanges commerciaux, la taxation internationale la politique globale relative au changement climatique.

Laurence Boone prévoit un impact durable sur la croissance des économies européenne, asiatique et américaine. Pour Philippe Martin, les tensions protectionnistes, impulsées par Trump, instaurent un climat d’incertitude, gelant ainsi les dynamiques d’investissement. Il est vrai que le résultat des prochaines élections américaines impactera l’avenir de la coopération internationale. Avant cette échéance, les perspectives d’entente avec les Etats-Unis semblent difficiles. Toutefois, alors que Trump joue un rôle clé dans ce déséquilibre, Philippe Martin ne manque pas de rappeler que les tensions commerciales existaient déjà sous la présidence d’Obama. Pour les économistes, la politique menée par Trump reste un échec, mais à relativiser.

En considérant que les importations américaines en provenance de Chine représentent 3 points de PIB, l’impact macroéconomique reste relativement faible. Dans la spirale d’intimidation sino-américaine que nous connaissons, l’erreur commise par Trump était de considérer que la Chine absorberait la hausse des tarifs en diminuant leurs prix. En définitive, ce sont bien les ménages américains qui ont payé le coût supplémentaire pesant sur les importations, engendrant une réduction de leurs pouvoirs d’achat.

Dans une optique prospective, Laurence Boone s’inquiète de l’incertitude pour le monde des affaires ainsi générée et du risque d’accélération de concurrence déloyale. En conséquence, des coûts supplémentaires pour le consommateur, la réallocation de la production et l’émergence de modes de consommation différents.

Au cœur de ce dessein, les débouchés pour l’Europe demeurent au sein de son propre marché intérieur, avec près de 500 millions de consommateurs et un marché unique à fort potentiel. L’Europe devra rester organisée et conserver une attitude commune à l’approche des prochaines échéances. Parmi celles-ci, avec la concrétisation du Brexit, se profile l’avènement de nouveaux accords commerciaux entre les américains et les britanniques. Toutefois, les travaux empiriques dédiés au commerce international nous apprennent que, même dans une période d’hyper-mondialisation, la distance géographique reste la première restriction au commerce entre deux états. Comprenez bien qu’augmenter la distance entre deux pays, c’est réduire leur potentiel commercial, toutes choses égales par ailleurs.

Laurence Boone insiste sur ce point : l’ensemble des accords commerciaux concerne l’échange de biens et marginalement les services, ce qui est pourtant l’essentiel de la valeur ajoutée du Royaume-Uni. Notons, tout de même, l’attitude unifiée de l’Europe dans les négociations avec les britanniques. Le Royaume-Uni, avec le Brexit, se met en marge d’un marché coalisé de 500 millions de consommateurs. Alors qu’un des arguments phares des britanniques repose sur la volonté de retrouver sa souveraineté règlementaire, toute variation de la règlementation européenne aura de lourdes conséquences sur le Royaume-Uni. Dans de telles circonstances par exemple, un producteur anglais devra créer deux lignes de production : une pour le marché domestique, l’autre pour le marché européen.

On peut également s’inquiéter de possibilités de formes de dumping fiscal et social. A ce sujet, Philippe Martin fait valoir que la stratégie européenne du « level playing field » est la bonne avec le principe que les tentatives de dérèglementation pressenties de la part des britanniques, impliqueront un accès restreint au marché européen.

Dans un contexte de taux d’intérêt décroissants, la perspective de taux négatifs devient de plus en plus tangible. Quelle lecture en faire et quel serait le rôle des banques centrales ?

En réalité, nous avions déjà connu une phase de taux d’intérêts réels négatifs, notamment dans les années 1970. Pour la première fois, les taux d’intérêts nominaux suivent cette tendance. Cette dynamique de baisse de taux a commencé au milieu des années 1990, pour aujourd’hui atteindre son niveau plancher. Certains phénomènes structurels sont à l’initiative d’un déséquilibre macroéconomique au niveau mondial. A l’aune d’une forte augmentation de l’épargne et de la réduction des investissements, les banques centrales ont accompagné la diminution des taux d’intérêt. Une augmentation de ces taux aurait donc un effet néfaste sur l’investissement et la consommation.

Pour Philippe Martin, les effets négatifs des taux sur la profitabilité des banques et des compagnies d’assurance existent, mais restent dominés par les effets positifs macroéconomiques sur l’emploi, l’investissement et la consommation. D’autant plus quand on connait la transition énergétique qui s’annonce, et dans laquelle l’Europe promet de jouer un rôle majeur.
Laurence Boone souligne que l’Europe s’est historiquement positionnée comme fer de lance de cette reconversion.

Avec peu de moyens annoncés dans le budget de l’UE à venir, à savoir 7 milliards d’euros pour l’ensemble des 27 pays de la zone euro et sur 10 ans, mais des objectifs très ambitieux, l’Europe a des besoins importants en termes d’infrastructures. La transition énergétique induit la conversion vers des énergies renouvelables, et une grille numérique capable d’optimiser le lien entre production et consommation. La perspective des taux d’intérêts bas apparait comme un levier nécessaire pour redynamiser les capacités d’investissement, répondre au besoin de mise en place d’une grille énergétique en Europe, et ainsi réinvestir dans l’avenir.

Conclusion

Dans un contexte socio-économique difficile sur son territoire national, face à la sortie du Royaume-Uni de l’union européenne et plus globalement à la frénésie internationale, la France devra être capable de se transformer et de s’adapter aux nouvelles problématiques contemporaines. Il s’agira à la fois de trouver l’équilibre qui lui permettra de mener à bien ses réformes, ainsi que d’asseoir sa position sur le plan international.
Pour conserver la cohésion du projet collectif européen, l’Europe doit pallier les tentatives d’atomisation exercées par les forces économiques mondiales.