En finir avec les tabous autour de la santé des femmes

La santé féminine est un secteur à fort potentiel… pour lequel la recherche n’avance pas assez vite

Le secteur de la « FemTech » regroupe l’ensemble des produits et services, voire même des initiatives, centrés sur la santé des femmes.

Si certains produits du secteur pharmaceutique en font partie (tests de grossesse, traitement des douleurs menstruelles, accélérateurs de fertilité, etc.), la FemTech concerne aussi les applications dédiées à ces mêmes problématiques (fertilité, grossesse, ménopause, allaitement …), d’où l’abréviation de « Female Technology ».

Ce secteur reste encore un marché de niche de la technologie et souffre d’un manque d’investissements. L’ensemble de la R&D spécifiquement orientée vers la santé des femmes ne représente que 4% du financement global de la recherche en santé, contre 2% pour le cancer de la prostate seulement (Forbes, 2018).

Pourtant, ce secteur est au cœur des préoccupations d’aujourd’hui : grâce à l’analyse plus poussée des données récoltées par la FemTech notamment, des maladies comme l’endométriose, qui touche en France 10% des femmes en âge de procréer, soit 1,5 à 2,5 millions de femmes, pourraient être diagnostiquées plus tôt.

Comment faire enfin bouger les lignes et faire avancer la recherche, grâce à la data ?

Au cœur de la recherche, l’utilisation des données…

La digitalisation massive de la santé et la démocratisation de l’accès et usage des données se présentent comme des facteurs clés pour aider les entreprises de la FemTech à se développer mais aussi les instituts de recherches.

  • D’un côté pour les entreprises, le traitement des informations sur l’utilisation de leurs produits ou services leur permet d’optimiser leur offre. Dans le cadre des applications, la multiplication des données anonymisées va notamment permettre le renforcement de la précision des algorithmes.
  • Du côté de la recherche, l’utilisation des données, une fois anonymisées, peut contribuer à améliorer les recherches scientifiques et/ou académiques. En utilisant des données issues du quotidien des femmes, les instituts de recherches pourront fonder leurs travaux sur des données pertinentes.

… dont on peine encore à tirer toute la valeur

Il est à noter que l’exploitation de données de santé est très encadrée en France. La loi prévoit que les données de santé destinées au secteur public ou aux professionnels de santé ne peuvent être réutilisées que pour des projets d’intérêt public. Dans le cas de la FemTech, l’intérêt général peut, par exemple, porter sur le développement de nouveaux médicaments.

De plus, le consentement explicite des utilisatrices est primordial avant toute exploitation des données par des tierces parties.

Un cas d’exemple répondant à tous ces objectifs est l’application de suivi des règles : Clue©. Fondée en 2012, cette application propose à ses 12 millions d’utilisatrices des prédictions personnalisées sur les différentes phases du cycle menstruel. Pour cela, elle analyse des caractéristiques personnelles ajoutées par les utilisatrices (état de santé, émotions, prise de contraception, …). L’application gratuite, avec des options payantes, se développe en travaillant avec des instituts de recherche. Ces derniers se servent des données pour faire avancer les études sur la menstruation et la santé reproductive. En amont de ces envois de données, Clue© supprime les données personnelles ou hache les identifiants personnels afin qu’aucune tierce-partie ne puisse identifier les utilisatrices. En plus de la démarche scientifique, l’entreprise se démarque par sa démarche éthique consistant à ne pas vendre les données personnelles récoltées à des fins commerciales.

Les données doivent cependant remplir certains critères afin d’en tirer de la valeur.

Pour répondre à ces critères, les données doivent être retravaillées à travers des mécanismes de collecte, de stockage et de traitement des données mais aussi des méthodes d’analyse complexes, contextualisées, utilisées en combinaison avec les métadonnées qui l’accompagnent. Le niveau de raffinage des données est donc essentiel. Cela implique un investissement significatif des « producteurs de la donnée » (les seuls à connaitre le sens et l’histoire de ces données), alors même que ces derniers ne sont pas toujours les « consommateurs finaux » et n’ont comprennent donc pas l’intérêt immédiat.

De plus, les données étant souvent de nature sensible, sécuriser l’accès aux données est primordial. Les entreprises doivent aussi respecter les mesures prévues par la règlementation telles que la protection des données dès la conception de l’application (« privacy by design »), la réalisation d’une analyse d’impact sur la protection des données (AIPD) et la transparence sur les pratiques en matière d’utilisation des données.

Tout ceci demande à l’entreprise d’aligner son organisation, ses processus de gestion de la donnée et son outillage : quel outillage pour collecter/stocker les données ? quels outils de mise en qualité des données ?

Garantir l’analyse de données, certifier sa qualité et sécuriser l’accès aux données, tout cela suppose d’avoir les ressources financières adéquates… Et c’est là que le bât blesse.

Pour lever les freins financiers, peut-on envisager de monétiser la donnée issue de la FemTech ?

La FemTech peut faire appel à des fonds d’investissements dédiés. Le fond d’investissement Portfolia a lancé en 2018, un FemTech Fund afin de financer des start-ups dont les produits sont exclusivement dédiés aux femmes.

Elle peut aussi monétiser ses données en revendant les données de façon anonymisée à la recherche médicale. Bien que source d’avantages économiques et concurrentiels (monétiser à travers des partenariats ou en passant par des Data Marketplace par exemple), la monétisation des données reste un sujet sensible.

Attention à la réglementation et à l’éthique

A-t-on le droit de commercialiser des données dont nous ne sommes pas propriétaires ?

Les données pouvant être monétisées sont sensibles par nature et doivent être anonymisées, c’est-à-dire que l’identification des utilisatrices (via les données de contact) doit être rendue impossible, et ce de manière irréversible. L’image de l’entreprise vendeuse peut être altérée par ce qu’elle en fait de ces données. Une analyse menée par Privacy International en 2019 a montré que l’application de suivi de menstruations, Maya©, a partagé des données comportementales et sensibles à Facebook (Privacy International. We asked five menstruation apps for our data and here is what we found... 2020).

Attention à la concurrence

Si la donnée trouve un acheteur potentiel, c’est qu’elle a donc une valeur potentiellement sous-estimée par l’entreprise. Cette dernière ne ferait-t-elle pas mieux d’en garder l’exclusivité pour mieux les exploiter ?

Il est toutefois possible de négocier les termes de l’échange afin de se protéger : l’acheteur n’a pas forcément un droit exclusif sur les données vendues, et les droits d’usage pour l’acheteur peuvent être restreints par des conditions contractuelles (durée d’exploitation, interdiction de diffuser ces données en dehors d’un périmètre précis etc.).

Quelle mise en place opérationnelle ?

Monétiser, d’accord… mais comment ? Comment parvenir à trouver la juste valeur de ses données ? Certains ont renoncé : faute d’organisation, faute d’outillage, faute de méthodologie.

Quel modèle économique pour la monétisation ?

À la clé, des opportunités de revenus plus importantes et une plateforme plus étoffée en vue d’une extension possible des services dans le futur.

A quel prix vendre cette donnée ?

Pour l’entreprise vendeuse, les bénéfices liés à l’échange (notamment le prix de vente mais aussi des bénéfices indirects/ des externalités positives potentielles liés à la transmission des données) doivent surpasser les coûts et les risques de mise à disposition.

Pour l’entreprise acheteuse, le prix de vente doit compenser le ROI qu’elle tire de l’utilisation de la donnée achetée.

Conclusion

Bien que le secteur de la FemTech offre de nombreuses opportunités grâce aux données récoltées sur un marché à fort potentiel, l’exploitation de ces données souffre d’un manque de financement.

Pourtant les données récoltées sont sources d’avantages économiques, notamment concurrentiels, une fois qu’elles sont anonymisées puis traitées. Le partage des données à des tierces parties n’est pas à écarter pour accélérer la valorisation de ces données et il peut même répondre à des enjeux sociétaux.

On peut tout à fait imaginer des modèles de prix différenciés en fonction des types d’acheteurs (Startup vs grande entreprise vs institut de recherche ou citizen developper…). Dans le cadre des applications de suivi de la santé des femmes, cette finalité peut s’avérer plus rassurante pour les utilisatrices qui savent qu’en utilisant ces applications, elles contribuent à faire avancer les recherches sur la santé sexuelle et reproductive des femmes.