L’Europe est à la traîne dans la course à l’intelligence artificielle, loin derrière les géants chinois et américain qui façonnent à leur main cette technologie disruptive. Elle peut cependant combler intelligemment son retard en optant pour un pragmatisme réglementaire et en incarnant une vision stratégique ambitieuse, porteuse de ses valeurs.
L’IA, enjeu de pouvoir
L’intelligence artificielle n’est pas neutre. Comme toutes les technologies, elle est politique, nourrie des valeurs de ceux qui la développent. Il est d’autant plus important de le savoir que cette discipline omni-usages a d’innombrables applications potentielles dans la société. Ses ramifications dépassent déjà largement les laboratoires où elle est née pour s’étendre aux sphères économique, militaire, géopolitique et forcément idéologique.
Maîtriser l’intelligence artificielle revient donc à pouvoir dicter sa norme, et, par extension, sa vision du monde. Or aujourd’hui, cette technologie est formatée par deux géants, derrière lesquels l’Europe songe à courir. D’un côté, les Etats-Unis, et leur approche plutôt centrée sur l’expansion et la grande consommation ; de l’autre, la Chine, avec son économie de la surveillance aux mains d’un État surpuissant. Face à cette dichotomie manichéenne -surconsommateur versus citoyen modèle- l’Europe, riche de tant de nuances, a tout pour offrir une vision alternative. Sauf qu’elle est terriblement à la traîne.
Eviter une réglementation sclérosante
Certes, quelques ambitions nationales émergent. Ainsi, le président français Emmanuel Macron a annoncé en juin à Vivatech débloquer notamment 500 millions d’euros pour “faire émerger cinq à dix clusters dans l’intelligence artificielle”, en visant “deux à trois références mondiales”. Il a également dévoilé le lancement du plan Tibi 2 pour financer des start-up de rupture, avec déjà “7 milliards d’euros sécurisés auprès d’investisseurs institutionnels” sur un total visé de 10 milliards d’euros. L’impulsion est la bonne, même si les montants restent insuffisants pour changer la donne. Il devient indispensable d’élever le niveau de jeu et de penser collectif au niveau européen.
L’Europe s’est jusque-là principalement attelée à ce qu’elle sait faire : réguler. Un exercice à 27 voix terriblement lent, quand l’innovation, elle, n’attend pas. La toute première version de l’AI Act, destiné à encadrer l’usage et la commercialisation des intelligences artificielles, a ainsi été présentée il y a plus de deux ans, quand les prouesses technologiques des AI génératives n’étaient que balbutiantes. Et elle ne devrait pas être adoptée avant fin 2023… A peine validée, déjà dépassée ? Les paris sont ouverts.
En plaidant en juin pour une régulation de l’intelligence artificielle qui ne freine pas l’innovation et n’obère pas la compétitivité de nos entreprises, Emmanuel Macron est dans la bonne direction. L’Europe doit en effet opter pour un modèle agile, permettant d’adapter les règles au fil de l’eau, et ne pas céder à la tentation d’une approche détaillée et exhaustive, forcément sclérosante. Elle doit incarner une vision politique forte, dans laquelle viendront s’articuler les ambitions nationales de chacun des Etats membres. Et définir une stratégie industrielle courageuse pour soutenir et amplifier l’innovation, avec des priorités bien définies.
Course à l’IA : 4 leviers pragmatiques et ambitieux pour l’Europe
Au premier rang desquelles on trouve : assurer un financement pérenne et vertueux de l’Intelligence artificielle et autres technologies de rupture. Pérenne, car l’innovation a besoin de visibilité pour s’épanouir. Vertueux, en faisant en sorte que l’argent public investi attire des financements privés, comme observé autour des géants de la tech outre-Atlantique. En France, les propositions du député Paul Midy dans le cadre de sa mission parlementaire sur le soutien à l’investissement dans les start-up et PME innovantes donnent des clés pour stimuler durablement l’écosystème d’innovation.
L’Europe doit également agir en faveur d’un renforcement des partenariats public-privé pour stimuler la recherche et accompagner des projets disruptifs sur le marché en les transformant en produits et services à forte valeur ajoutée. Là encore, nous pourrions nous inspirer de ce qui est mis en place aux Etats-Unis. Cette mesure devrait aller de pair avec une révision des rémunérations des chercheurs, pour les conserver en Europe au lieu de les voir irrémédiablement succomber aux appels de salaires à six chiffres offerts par les compagnies tech américaines.
Le troisième levier est celui de la pédagogie. Une sensibilisation est indispensable, pour démystifier l’IA et permettre au grand public d’appréhender les enjeux de cette discipline. Il faut également investir massivement dans la formation pour booster le volume d’ingénieurs et de chercheurs en IA diplômés de nos grandes écoles et universités.
Enfin, l’Europe doit jouer à fond la carte de l’open source, avec des données d’apprentissage publiques et privées, des algorithmes documentés et ouverts qui pourront s’enrichir par le pouvoir de la communauté. L’open source est un levier de création d’effet de volumes pour rivaliser avec les moyens colossaux investis aux Etats-Unis et en Chine. Dans le même état d’esprit, l’écosystème, public comme privé, doit régulièrement être consulté avec souplesse pour faire émerger des propositions concrètes.
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