Tribune publiée sur le site Les Echos le 27 janvier 2023

Une nouvelle fois, le CES de Las Vegas a contribué à mettre en avant nombre d’innovations, toutes « connectées », dont un certain nombre relève du gadget, avec très peu (voire pas) d’informations sur l’empreinte environnementale associée. Ce début d’année doit aussi être l’occasion de faire un point sur les avancées concernant la prise en compte des enjeux environnementaux du numérique au sein des organisations, et par le secteur numérique lui-même.

Si aujourd’hui la mesure de l’empreinte carbone du numérique est plus fréquente, elle doit désormais cependant être systématisée et ne pas faire l’impasse sur l’impact complet de sa chaîne de valeur.

Une proportion croissante d’entreprises s’est lancée dans la mesure fine de l’empreinte carbone du numérique (voire l’empreinte environnementale globale avec d’autres critères environnementaux que le carbone). Cela est particulièrement vrai pour les organisations des secteurs banque, assurance, luxe et secteur public.

Définir une trajectoire environnementale du numérique : une étape indispensable pour les entreprises

Toutefois, la comptabilisation de l’empreinte de la fabrication des matériels achetés et de l’ensemble des services externes numériques souscrits (c’est à dire le « scope 3 amont » du numérique dans le jargon Bilan Carbone®) est encore souvent partielle et doit gagner en exhaustivité afin d’être alignée avec le décret BEGES publié l’été 2022 imposant de comptabiliser les « émissions indirectes significatives » pour toutes les entités de plus de 500 salariés.

Par ailleurs, l’impact de l’accès aux services numériques de l’organisation (ex. : site institutionnel, site e-commerce) a également de l’intérêt afin de pouvoir justifier le ROI environnemental d’outils d’écoconception (tels que : Fruggr, GreenIT Analysis, Greenframe, Greenspector, …) et de maitriser le risque d’image.

Trop peu d’organisations ont aujourd’hui défini des objectifs de trajectoire environnementale pour le numérique (définition de l’empreinte maximale année par année, par exemple sur le critère carbone).  Pour autant, certaines organisations, plus avancées, sont en train d’expérimenter le passage à l’échelle de l’écoconception dans les projets. Or, l’intégration du critère environnemental comme un véritable critère de go-nogo des projets restera un vœu pieu tant qu’une trajectoire environnementale du numérique n’aura pas été définie.

Le secteur du numérique doit être acteur de sa propre transformation environnementale

Une telle démarche serait très vertueuse : elle permettrait de systématiser l’évaluation de l’impact environnemental des projets numériques, y compris les impacts positifs permis par les cas d’usages « IT for green ». Au-delà de sa contribution aux objectifs environnementaux de l’organisation, la DSI pourrait aussi devenir un catalyseur des projets IT for green.

Le numérique est bien sûr un vecteur de décarbonation des autres secteurs (c’est ce que signifie l’IT for green). Toutefois, l’empreinte carbone du numérique doit baisser très significativement (entre -37 et -67% en fonction du segment) entre 2020 et 2030 au niveau mondial pour respecter l’accord de Paris(1). L’ensemble de l’empreinte des cas d’usage numériques (y compris IT for Green) doit donc s’inscrire dans cette trajectoire de réduction absolue des émissions numériques. Dit autrement, les cas d’usages IT for Green ne doivent pas être un prétexte à retarder l’activation des mesures de sobriété numérique de grande ampleur.

Atteindre un niveau de transparence suffisant

L’ordre de grandeur des réductions à opérer nécessite une transformation environnementale des acteurs du secteur numérique. Et ça tombe bien ! Car les autres organisations en ont besoin afin de pouvoir elles-mêmes opérer leur transformation numérique responsable en interne.

Il convient de noter que les acteurs numériques ont progressé depuis 18 mois sur l’estimation de l’empreinte environnementale des services proposés, mais il reste encore souvent du travail pour atteindre un niveau de transparence suffisant et couvrir un périmètre complet dans la mesure de l’empreinte. Par ailleurs, les acteurs numériques doivent aller au-delà des classiques actions de développement de l’électricité verte : les business models numériques doivent évoluer pour intégrer les enjeux environnementaux.

Cela passe par exemple par le fait de ne plus tout tabler sur le volume de ventes de matériel, mais de réfléchir à des propositions de valeur permettant de faire durer plus de 7 ans (voire 10 ans ?) les équipements, d’éviter que les mises à jour applicatives entrainent un renouvellement accéléré des terminaux, d’éviter de promouvoir des usages qui nécessitent une augmentation du nombre de terminaux à l’échelle de chaque utilisateur, etc. Nous sommes encore loin du compte, mais certains acteurs commencent à tracer une voie, espérons que 2023 verra une accélération.

Les Directions Achats des organisations doivent être un levier pour accélérer ces tendances.

Les Directions Achats doivent contribuer à accélérer ces tendances, même s’il faut bien constater que le rapport de force est compliqué à trouver sur le numérique, au regard de la taille parfois oligopolistique de certains acteurs. La médiation interentreprises, qui regroupe toutes les entreprises signataires de la charte RFAR (Relations Fournisseurs et Achats Responsables) et est pilotée par un médiateur rattaché au Ministère de l’Economie et des Finances, pourrait être une carte très intéressante à jouer en accentuant l’importance de travailler de concert sur l’enjeu de décarbonation des achats, en particulier concernant les fournisseurs numériques !