Cette tribune a été co-écrite avec Maher Chebbo, directeur général d’Envision Digital Europe et membre du Conseil des ingénieurs pour la transition énergétique auprès des Nations Unies.
Article initialement publié sur le site La Tribune le 5 octobre 2023.
Alors que les débats s’intensifient sur le développement de l’IA et le foisonnement de nouvelles applications, la question des liens entre transformations digitale et durable prend une importance accrue. Faut-il se réjouir de l’irruption de l’IA dans nos vies, pour accélérer la transition ? Au contraire, l’IA pourrait-elle s’accompagner de défis inquiétants, plus prompts à renforcer les anciens modèles qu’à en inventer de nouveaux ?
Voici 4 convictions pour alimenter la réflexion :
- L’IA est nécessaire à la transition ;
- La technologie seule ne suffira pas ;
- L’IA s’accompagne de nouveaux défis en matière d’éthique et de RSE ;
- L’IA n’est qu’une des multiples formes d’intelligences requises pour réussir la transition.
L’IA est nécessaire à la transition
Pour la résilience du mix énergétique, l’IA aidera à mieux piloter le caractère diffus et intermittent des énergies renouvelables, essentielles à la transition énergétique. Elle contribuera à massifier la production de sources alternatives d’énergie décarbonée comme l’hydrogène vert, par exemple en optimisant le fonctionnement des futurs grands électrolyseurs. L’IA aidera aussi à arbitrer entre plusieurs sources énergétiques et options de stockage (batteries, hydrogène, géo-stockage…).
En matière de gestion des usages, l’IA permettra de mieux anticiper les besoins, prédire les consommations à venir d’un bâtiment, optimiser le pilotage de différentes charges, arbitrer entre consommation, stockage pour des besoins futurs ou revente d’énergie décarbonée. Elle aidera à mieux gérer l’effacement des frontières entre producteurs et consommateurs, et les multiples combinaisons entre actions de production, consommation, stockage et déstockage d’électricité combinées avant le trading sur les marchés. Mobilité électrique, chauffage et ventilation, gestion de l’eau et des déchets, qualité de l’air, traçabilité et optimisation des flux logistiques… de nombreux secteurs sont concernés.
La transition écologique impose de traiter des volumes considérables de données, ce que l’IA permettra de faire à un coût abordable, tout en absorbant des flux croissants d’informations complexes. Un enjeu crucial pour fiabiliser et déployer les nouveaux cadres réglementaires de reporting extra-financier (CSRD, taxonomie, etc.).
Les solutions technologiques ne suffiront pas
Au-delà des services d’IA « dans le cloud », de nouveaux paradigmes comme l’Edge IA reposent sur une intelligence embarquée dans des objets, équipements et systèmes industriels connectés, pour traiter l’information plus rapidement tout en contribuant à la sobriété énergétique. STMicroelectronics a récemment annoncé des innovations permettant de réduire de 40 % la consommation énergétique d’appareils électro-ménagers. Des applications se développent pour optimiser le fonctionnement de systèmes de climatisation, détecter des fuites d’eau, etc.
Mais ces innovations n’en sont qu’à leurs débuts. Pour jouer leur effet multiplicateur au service de la transition, elles devront s’appuyer sur 3 leviers :
- Des modèles économiques avérés et pérennes ;
- Des filières structurées, associant des entreprises complémentaires, sensibles aux enjeux de souveraineté, partageant une vision et des ambitions compatibles ;
- Un cadre réglementaire stimulant (gouvernance, normalisation, etc.).
L’IA s’accompagne de nouveaux défis en matière de RSE
Les outils d’IA générative soulèvent d’importants enjeux sociaux, avec la mobilisation massive de « travailleurs » de la donnée » pour pré-entraîner les algorithmes et corriger leurs dysfonctionnements. Des artisans localisés n’importe où dans le monde (Turquie, Kenya, Afrique du Sud, Venezuela, Philippines…), comme l’a révélé une enquête de Time Magazine en janvier 2023, dénonçant les pratiques d’OpenIA.
Le développement rapide de l’IA dans des millions d’appareils connectés engendrera un fort impact environnemental. L’augmentation de la demande de semiconducteurs et composants critiques génère des pressions additionnelles sur plusieurs ressources (eau, énergie, métaux rares…). A l’aval, de nombreux freins subsistent pour développer l’économie circulaire et limiter les risques de pollutions.
Face à ces réalités (auxquelles s’ajoutent des enjeux en matière d’éthique, formation et reconversion professionnelle, protection de la propriété intellectuelle, partage de la valeur…), des règles et des jurisprudences claires devront être établies à échelle internationale, cohérentes avec le devoir de vigilance. Une analyse critique et éthique des technologies d’IA sera nécessaire pour déterminer les conditions de leur acceptabilité sociale.
L’IA n’est qu’une des multiples formes d’intelligences requises
Au-delà de ses défis techniques, la transition écologique demeure un processus complexe, politique, impliquant un grand nombre d’acteurs (soumis à une multitude d’imprévus et facteurs exogènes liés à la marche du monde). Sans oublier les résistances légitimes des utilisateurs, si les bénéfices ne sont pas bien anticipés et expliqués.
Tout en restant optimistes, gageons que l’IA ne saurait remplacer toutes les autres formes d’intelligences (politique, relationnelle, culturelle, géostratégique…) requises pour réussir la transition. Elle devra aussi préserver la diversité de langues, cultures, valeurs et perceptions qui constituent la matrice du monde, alors qu’elle se fonde aujourd’hui sur des données issues du Web et par nature non représentatives. L’IA n’est qu’une étape dans un processus de long terme : à nous de la transformer en opportunité.
C’est notre plus grand défi : articuler, doser au mieux ces intelligences, humaines et technologiques, et les besoins indispensables, pour trouver l’équation gagnante et réconcilier toutes les composantes (et injonctions parfois contradictoires) de la transition. Avec une tâche colossale de coordination et gestion du changement, à échelle globale et au sein de chaque organisation engagée dans l’effort collectif.
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