Près de 15 ans après le lancement de Vestiaire Collective, le marché de la seconde main maintient sa croissance robuste, avec une hausse stable d’environ +20% par an depuis 2018, et une perspective de doublement d’ici 2025.
De nombreux avantages ont incité les marques de luxe à adopter ce nouveau business model, comme la réduction de la contrefaçon en garantissant l’authenticité des produits, l’engagement RSE en proposant une nouvelle vie aux produits ou bien l’opportunité de capter une part de la valeur des produits échangés sur les plateformes C2C. En outre, ces initiatives permettent aux marques de collecter des données tout au long du cycle de vie du produit, même après son changement de propriétaire.
Enfin, elles ouvrent la porte à de nouvelles clientèles telles que les générations Y et Z, plus sensibles aux questions de durabilité et attirés par la seconde en raison de leur pouvoir d’achat limité.
Une multiplication des initiatives autour de la seconde main depuis 2018
Depuis 2018, les maisons de luxe ont commencé à s’associer à des plateformes spécialisées dans la revente d’articles de luxe. C’est la cas de Stella McCartney, Mulberry et Gucci avec TheRealReal, pour leur première incursion dans ce marché. En ce qui concerne la rétribution des vendeurs, les marques peuvent choisir d’offrir des bons d’achat ou des expériences telles qu’une invitation à un “Tea Time” ou une séance de shopping personnalisée dans leurs boutiques américaines.
Des géants tels que Kering, qui a pris une participation dans Vestiaire Collective en 2021, et Richemont, qui a racheté Watchfinder l’année suivante, ont également saisi le potentiel de ce marché.
En 2021, Gucci a innové avec son concept store digital “Gucci VAULT“, proposant des pièces iconiques chinées auprès de collectionneurs et de particuliers, remises en état voire retravaillées par le directeur artistique de la maison, et disponibles dans le métaverse sur “Gucci Vault Land“.
Cependant, toutes les marques n’ont pas rencontré le même succès, comme Jean-Paul Gaultier, dont le projet de seconde main a échoué en 2021 avant même son lancement, ou Zalando, qui a fermé son initiative “Zircle” en 2022 après trois ans d’existence.
Un engouement pour les offres de seconde main de luxe et de prêt-à-porter à travers le monde
Les marques ont développé leurs services de seconde main en réponse à l’engouement croissant des consommateurs à travers le monde. Selon le Baromètre des Tendances de Consommation Wavestone 2023, 67% des répondants ont vendu et/ou acheté un produit d’occasion au cours des 12 derniers mois. Les vêtements et accessoires de mode sont en tête des catégories de produits les plus populaires, avec 86% des répondants dans les cinq pays interrogés. Les produits de luxe suscitent également un fort intérêt pour 81% des répondants et se hisse à la 1ère place aux Etats-Unis.
Les jeunes de 18 à 24 ans se montrent particulièrement sensibles à la seconde main, avec 79% d’entre eux ayant pratiqué cette forme de consommation au cours de l’année.
3 modèles pour construire son offre de seconde main
Le choix du modèle économique est essentiel lors de la construction de son offre et il est important d’en connaître les avantages et les défis. Trois approches prédominent :
- Le modèle de rachat direct, où les articles sont rachetés par la marque puis revendus en ligne et/ou en magasin.
- Le modèle de consigne, où la marque récupère les produits des revendeurs et les commercialise sur sa plateforme. Les vendeurs sont rémunérés uniquement si l’article est vendu dans un délai défini.
- Le modèle de partenariat avec des plateformes de seconde main établies, où la marque encourage ses clients à acheter ou vendre ses produits sur ces plateformes. Cette approche sert souvent de première étape pour les marques souhaitant pénétrer le marché de la seconde main.
Pour aider les marques à se lancer dans la seconde main, un écosystème florissant s’est développé. Faume, une start-up française, séduit de nombreuses marques premium avec son modèle de rachat contre bon d’achat, tandis que Reflaunt facilite la vente de produits Balenciaga sur plus de 25 plateformes de seconde main simultanément. D’autres acteurs proposent des solutions de tarification, des NFTs et des outils d’optimisation pour l’activité de seconde main.
Les principaux écueils rencontrés par les marques
Le modèle économique doit prendre en compte les impacts potentiels que pourrait générer la nouvelle offre sur les ventes de produits neufs. En effet, les prix de produits de seconde main étant inférieurs aux prix des produits neufs, il existe un risque à ce que les consommateurs soient plus réticents à l’achat de ces derniers pour des raisons financières. Les mêmes articles pouvant être disponibles en seconde main peu de temps après.
L’enjeu pour les marques réside donc dans la fixation du bon de prix et de la profondeur d’offres proposée en évitant une offre trop riche qui cannibaliserait les nouvelles colllections et l’effet « gruyère » d’une offre trop restreinte (trop peu de références, pas assez de tailles disponibles, élément essentiel dans le prêt-à-porter)
La construction d’une offre de seconde main implique de collecter, restaurer et trier les produits d’occasion, ce qui nécessite un savoir-faire spécifique et génère des coûts supplémentaires. Pour pallier cette difficulté, la grande majorité des détaillants traditionnels sous-traitent ces opérations à des acteurs spécialisés, voire à des géants de la vente de produits d’occasion en ligne (Exemple de Vestiaire Collective pour Alexander McQueen).
Une offre de seconde main fructueuse nécessite donc une forte maîtrise des coûts d’approvisionnement et de commercialisation.
Le modèle de rémunération se heurte à deux difficultés majeures. D’une part, il doit proposer le rachat des produits d’occasion au juste prix pour équilibrer le modèle économique et rester compétitif face aux acteurs CtoC. De l’autre, il doit offrir un parcours client simplifié (estimation du prix, éligibilité et collecte des produits…) pour encourager les consommateurs à revendre leurs produits en magasin ou sur leur site.
Certains consommateurs peuvent être réticents à ce type d’offres en raison d’une perception négative des produits d’occasion, associés à des produits déjà utilisés (préoccupations relatives à l’hygiène, habitudes culturelles privilégiant l’achat de produits neufs pour des raisons statutaires…).
L’omniprésence des plateformes C2C comme Vinted présente une double menace pour les marques : ces plateformes proposent une offre très large et permettent aux consommateurs de négocier les prix.
Face à cette menace, des marques telles que Zara, fortement présentes sur les plateformes C2C, élargissent leur offre en lançant leurs propres services de seconde main. Cette stratégie vise à les établir comme des sources directes de vente et achat de vêtements d’occasion, préservant ainsi une part du marché autrefois dominée par des vendeurs indépendants sur des plateformes comme Vinted.
Des produits iconiques et rares, la recette du succès pour les marques de luxe de seconde main
Retenons que la seconde main est aujourd’hui un modèle incontournable pour les marques premium, mais ne constitue la plupart du temps qu’un levier de promotion de la marque, au même titre les soldes ou les produits en déstockage. En effet, les marges sont relativement faibles et la concurrence du C2C écrasante.
Ainsi, la vraie recette du succès semble résider dans l’offre des marques de luxe qui disposent de produits iconiques et rares, permettant de « s’affranchir » de toute logique économique.
C’est le cas de Rolex dont l’offre s’apparente à des produits de collection en revendant des produits pour lesquels la production a été arrêtée, ou encore Rimowa, qui reconditionne ses bagages métal. La demande pour ces produits ne cesse d’augmenter et permet aux marques de revendre des produits d’occasion à des prix parfois supérieurs au neuf.
La seconde main séduit ainsi une nouvelle cible de consommateurs comprenant collectionneurs et amateurs de produits de luxe, prêts à investir dans des objets iconiques. Pour les marques et Maisons d’ultra luxe, la seconde main représente une opportunité solide et rentable et un véritable levier de croissance en cas de retournement du marché du neuf.