Le développement de la mobilité électrique est aujourd’hui un enjeu majeur pour le gouvernement français, avec un objectif de 4,8 millions de véhicules particuliers électriques en 2028[1]. De plus, l’Assemblée Nationale a voté en juillet 2019 l’interdiction de la vente des véhicules thermiques à partir de 2040.

Pour réellement épouser cette transition et absorber la transformation sans réduire la capacité de déplacement des automobilistes français, une infrastructure de recharge efficace, cohérente et répondant aux besoins des utilisateurs doit être déployée.

Où en est-on du développement des IRVE publiques en France ? L’offre de recharge est-elle suffisamment lisible pour les utilisateurs ? Existe-t-il des initiatives locales dont les acteurs de la recharge en France pourraient s’inspirer ?

[1] Selon la Programmation Pluriannuelle de l’Energie 2019

Cartographie des principaux réseaux de recharge en France

Le déploiement des infrastructures de recharge (IRVE) en France connaît une évolution forte. Cependant, leur répartition est très inégale à l’échelle du territoire. La cartographie ci-dessous permet de se rendre compte des principaux opérateurs présents sur le réseau et d’observer les différences qui existent à la maille territoriale.

Cette carte ne trace pas la totalité des réseaux nationaux, car ceux-ci ont été sélectionnés suivant des critères de taille (réseau avec plus de 400 points de charge), spécificité et indépendance. Cette carte a été réalisé grâce aux données accessible via GIREVE qui recense tous les points de recharge interopérables implantés sur le territoire national. La carte est mise à jour de manière régulière sur Je-roule-en-electrique.fr. On compte plus de 200 000 points de recharge en France installés dans les rues, les parkings ou bien à domicile. Cette carte trace uniquement les plus grands réseaux en France localisés par région. Elle ne comprend donc également pas les réseaux en itinérance.

La plupart de ces réseaux est gérée par des autorité organisatrice de la distribution d’énergie électrique (AODE) avec des déploiements qui se sont inscrits, entre 2016 et 2018, dans le cadre du programme ADVENIR. Créé en 2016, le programme ADVENIR contribue, grâce au mécanisme des CEE (certificats d’économie d’énergie), au financement des réseaux d’IRVE des collectivités territoriales.

Comme mentionné au-dessous, les réseaux de recharge rapide en itinérance ne sont pas présents sur la carte. C’est le cas de IONITY, joint-venture entre les constructeurs automobiles BMW, Daimler Ford et le groupe Volkswagen, le Corri-Door Izivia, réseau regroupant initialement 217 bornes de recharge installées sur les autoroutes tous les 80 km. Enfin le réseau européen de TOTAL accessible avec la carte TOTAL Multi-Energies qui représente à lui seul plus de 100 000 bornes dans 25 pays d’Europe.

Cependant, après deux incidents d’ordre technique signalés mettant en cause la sécurité, Izivia, par principe de précaution a mis à l’arrêt de manière temporaire la majeure partie du réseau. Ne sont pas représentés non plus certains réseaux privés qui bénéficient tout de même d’une couverture nationale. C’est le cas d’Alizé, marque de Bouygues Energies & Services, qui propose aux collectivités, entreprises et particuliers des solutions complètes de recharge pour VE. L’entreprise a également développé un service de mobilité dans le cadre de son offre « Alizé Liberté », permettant l’accès à plusieurs réseaux regroupant plus de 5000 bornes sur le territoire.

Ce type d’offre, permettant à un utilisateur d’utiliser différents réseaux de recharge avec un seul et même badge est autorisé grâce au décret IRVE. Ce décret permet l’itinérance et l’interopérabilité d’accès au service de recharge des véhicules électriques. L’interopérabilité de l’offre de recharge représente un des plus grands enjeux IRVE à venir entre les différents acteurs de la mobilité électrique.

Une multiplicité d’offres de recharge qui engendre un manque de lisibilité pour les utilisateurs

Essentielle pour rassurer les utilisateurs de véhicules électriques, la recharge publique a longtemps été complexe d’accès et d’utilisation en raison de pratiques divergentes selon l’opérateur de recharge. Si cela reste en grande partie vraie,  des progrès significatifs ont été faits dans plusieurs domaines. 

Un premier point traité par de nombreux acteurs à travers des efforts de lobbying et de règlementation : l’interopérabilité des bornes

La progression de la simplicité d’utilisation des bornes publiques passe d’abord par la capacité pour un client d’un opérateur de mobilité[1] de pouvoir se charger sur n’importe quelle borne. Aujourd’hui, ces mêmes opérateurs (à l’instar de Chargemap, Easytrip ou encore NewMotion) fournissent à leurs clients différents moyens pour s’identifier sur n’importe quel réseau de recharge publique : badge NFC, application mobile… Il en découle que chaque opérateur de recharge[2] (un opérateur de recharge peut également jouer le rôle d’opérateur de mobilité, si le client choisit de souscrire à ce service) doit rendre son réseau de bornes interopérable, et permettre l’authentification sur ses bornes possible via n’importe quel autre opérateur de mobilité.

Cette interopérabilité des bornes publiques est rendue obligatoire par la Loi d’Orientation des Mobilités, promulguée en décembre 2019. Cependant, aucune sanction n’a encore été prévue par la loi pour les opérateurs de recharge ne respectant pas ces règles. De plus, les opérateurs de bornes doivent désormais rendre « accessibles et réutilisables dans les conditions prévues les données liées à : leur localisation, leur puissance, leur tarification, leurs modalités de paiement, leur accessibilité aux PMR, leur disponibilité et les éventuelles restrictions d’accès liées au gabarit du véhicule. », d’après l’article 25 de la LOM. Cet article devrait permettre le développement de services aux utilisateurs de véhicules électriques, tels que les assistants numériques de prévision de trajet.

Pour l’instant, les bornes permettant le paiement par carte bancaire directement sur la borne et sans abonnement se font encore rares. En revanche, le paiement via une application dédiée à l’opérateur de la borne est bien souvent possible, et plus économique que via le pass d’un opérateur de mobilité.

Dans ce contexte, la plateforme GIREVE propose notamment une solution aux opérateurs pour faciliter cette interopérabilité en jouant le rôle d’intermédiaire unique et ainsi évite de faire des accords acteur par acteur.

[1] Opérateur de mobilité : produit des services pour les utilisateurs de véhicules électriques dans le cadre de contrats avec leurs clients : badge NFC, application

[2] Opérateur de recharge : gère les bornes de recharge et produit et assure la recharge des véhicules qui s’y connectent

Source : www.gireve.com

Des tarifs peu lisibles et incohérents viennent cependant noircir le tableau de l’itinérance de la recharge publique

Certes, l’abonnement à un service d’opérateur de mobilité vous permettra de vous recharger sur n’importe quelle borne publique, mais à quel prix ? C’est ce que reprochent les utilisateurs aux opérateurs de recharge, tant sur le coût que sur la lisibilité et la simplicité de celui-ci. Sur une même borne, vous n’allez pas être facturé de la même manière en fonction de l’abonnement auquel vous avez souscrit et du partenariat entre votre opérateur de mobilité et l’opérateur de recharge que vous utilisez.

Ainsi, une seule règle est valable pour tous les opérateurs : vous bénéficierez du tarif le plus avantageux si vous avez souscrit à l’abonnement de l’opérateur de la borne que vous utilisez. Mais sur le mode de tarification (facturation au temps ou à la quantité d’électricité consommée) ainsi que la différence de prix, chaque opérateur de recharge a sa recette.

Afin de simplifier l’utilisation de la recharge publique, une uniformisation du mode de tarification de la recharge en France est nécessaire

Aujourd’hui, le mode de facturation varie entre les opérateurs de recharge. Certains, comme Izivia, Bélib et bien d’autres facturent la recharge au temps passé sur la borne. D’autres, comme eborn, facturent la recharge à l’énergie consommée. La LOM devrait clarifier ce point, puisque l’article 64 décrit l’activité d’opérateur d’IRVE non pas comme une activité d’achat et revente d’électricité mais une activité de prestation de service. La prise en compte du nombre de KWh consommés dans la formule de calcul du tarif sera-t-elle toujours utilisée après l’adoption de cette loi ? Cela ne devrait pas être le cas.

Parmi 31 réseaux de recharge étudiés, voici les structures tarifaires choisies :

Nous assistons aujourd’hui à un changement de positionnement des opérateurs de recharge

Aucun business model viable n’ayant encore été trouvé, les tarifs pratiqués lors de l’ouverture des réseaux ne reflètent pas les coûts associés à l’opération de la recharge. Ainsi, les opérateurs comptent sur l’augmentation de la demande de recharge pour augmenter progressivement leurs tarifs, non pas pour augmenter leur profit, mais simplement pour rentrer dans leurs coûts. C’est notamment le cas à Amsterdam, où les acteurs de recharge sont en pleine réflexion sur leur mode de tarification.

Plus récemment, un autre opérateur de recharge ultra rapide, IONITY, s’étant implanté principalement sur autoroute en France, a annoncé des changements dans son mode de tarification. Anciennement forfaitaire, la tarification se calcule désormais en fonction de l’énergie consommée, avec des tarifs sans abonnement relativement élevés. Alors que IONITY s’était arrêté à ce point dans sa communication initiale, l’opérateur de recharge a dans un premier temps subi les foudres des internautes ainsi que les comparaisons avec le prix de l’essence. Mais en creusant, on s’aperçoit que des tarifs préférentiels seront réservés aux utilisateurs bénéficiant d’un abonnement, possédant un véhicule d’une marque faisant partie du consortium à l’origine du réseau. L’opérateur explique également que les implantations sur autoroute sont bien plus onéreuses que celles en zone urbaine, péri-urbaine ou rurale. Également, les trajets longue distance étant relativement exceptionnels pour la majorité des usagers, le tarif reflète le service « unique et premium » offert par IONITY (la puissance de recharge délivrée est de 350 kW, et les emplacements très attractifs).

Ces modifications s’inscrivent encore une fois dans une logique plus globale de tous les acteurs du marché, cherchant l’équilibre entre satisfaction client et rentabilité.

Après avoir traité le sujet de l’interopérabilité, nous vous proposons un focus sur le déploiement des infrastructures chez deux de nos voisins européens. Tout deux précurseurs dans les domaines du pilotage de la recharge et de l’intégration des énergies renouvelables dans l’infrastructure publique.

Zoom sur 2 grandes métropoles européennes pionnières dans le développement de leur infrastructure de recharge

Le développement des IRVE en Europe est très hétérogène. En effet, le niveau de maturité actuel des capitales européennes en termes d’infrastructures est inégal. Un zoom sur deux des principales métropoles européennes, Amsterdam et Londres, va permettre d’établir des premières tendances comparables à Paris.

Pourquoi ces villes ?

Premièrement, ces deux villes font partie du C40, groupe composé de 96 villes à travers le globe, qui prend des mesures audacieuses en matière de climat, menant le combat pour un avenir plus propre et plus durable.

Deuxièmement, ces deux villes font parties des précurseurs en termes d’offre d’infrastructures de recharge disponible, notamment en voirie sur l’ensemble de la ville. Ces deux pays connaissent un décollage du marché électrique et présentent de nombreuses similitudes avec la France (démographie, niveau de vie…)

Enfin, malgré des similarités sur bien des points, elles prennent des trajectoires assez différentes en termes d’innovation.

Les thèmes comme l’électromobilité ou encore les mobilités douces sont déjà très ancrées dans la culture néerlandaise. En lien avec l’interdiction à la vente des véhicules thermiques à horizon 2030, les Pays-Bas mettent en place une politique pro-VE très agressive. Amsterdam a par exemple pour ambition d’atteindre le seuil « zéro émission carbone » d’ici 2025. L’accélération de la transition est notamment liée à une plus grande accessibilité pour les propriétaires de VE au réseau de bornes publiques.

En effet, la ville d’Amsterdam a mis en place un système de bornes de recharges à la demande, inédit en Europe. Cette mesure permet aux utilisateurs d’avoir accès très facilement à une borne principale. De plus, ces bornes étant mise à disposition dans le cadre d’une utilisation partagée, cela permet un meilleur maillage du territoire urbain en IRVE.

La capitale hollandaise a pour ambition de devenir la première ville européenne « zéro émission » en interdisant l’accès de son centre-ville aux véhicules diesel et essence. Cette restriction de circulation doit profiter aux voitures électriques, aux transports en commun et à la mobilité douce. De plus, les véhicules thermiques ne seront plus autorisés de circuler en ville à partir de 2025, tandis que les véhicules diesel sont déjà soumis à des taxes de circulation.

Un autre levier permettant le développement des IRVE publiques sont les fortes incitations financières locales. Par exemple, chaque propriétaire de borne est en droit de demander une aide de 500€ s’il rend sa borne partiellement accessible au public. Cette aide, parmi tant d’autres (prime à l’achat, exonération des taxes) a un double effet positif : cela réduit les coûts d’accès à la charge pour les utilisateurs donc les incite à investir et cela améliore le maillage en IRVE publiques sur le territoire.

Amsterdam espère également séduire les entreprises et accélérer la transition vers une électrification des flottes. Pour ce faire, la ville propose une subvention de 5000€ pour l’achat d’un taxi électrique ou d’un véhicule électrique par une société.

Une autre particularité d’Amsterdam est l’évolution du réseau existant en voirie, comportant des bornes de type lentes à accélérées (3 à 22 kW), avec la technologie « flexpower ». Cette technologie permet d’adapter la puissance délivrée sur l’ensemble du réseau de bornes. La charge délivrée par les bornes est donc variable selon l’horaire de la journée : lente (3KW) de 18h00 à 21h00, normale (12 KW) de 6H30 à 18H00 et accélérée (22 KW) de 21H00 à 6H30. Cette transformation du réseau est financée en partenariat avec Vattenfall. Situées majoritairement dans les quartiers résidentiels d’Amsterdam, où l’énergie renouvelable est produite localement, les bornes « flexpower » permettent de palier à la saturation du réseau.

Enfin, d’un point de vu tarifaire, la ville a défini un plafond de tarification que les opérateurs de recharge n’ont pas le droit de dépasser. Niveau réglementaire, il n’existe aucune limite de stationnement sur les places équipées de bornes, tant que le véhicule est en charge.

Le marché britannique est propice au développement du véhicule électrique. D’un côté, grâce au gouvernement qui propose de nombreuses aides financières aux citoyens. D’un autre, via un engagement ambitieux de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2050. Le gouvernement britannique se doit donc d’inciter encore plus les automobilistes à adopter le VE. Afin d’accélérer la transition, l’Etat propose différents types de subventions :

  • EHVS: « Electric Vehicle Homecharge Scheme » pouvant aller jusqu’à 75% du coût d’installation d’une borne à domicile.
  • WCS : « Workplace Charging Scheme » sous forme de bons d’achat destinés à aider les entreprises, organisations caritatives, et organismes du secteur public éligibles à couvrir les coûts d’achat et d’installation d’infrastructures de recharge.
  • ORCS : « On-street Residential Chargepoint Scheme » versés aux collectivités locales pour couvrir les frais d’achat et d’installation d’infrastructures sur voirie dans les quartiers résidentiels.

Enfin, plus globalement, le Royaume-Uni souhaite investir 2,7% de son PIB en R&D d’ici 2027, principalement dédié à la recherche sur les batteries et le développement de solutions de « smart charging » sur l’ensemble du territoire.

En matière d’IRVE, c’est également l’Etat qui a la charge du financement, même s’il en délègue la gestion aux collectivités locales, plus à même de décider de leur répartition géographique. La capitale Anglaise a entamé de grands travaux de densification de son réseau de bornes. En rejoignant le réseau « Respire la vie », la ville s’est fixé un objectif ambitieux de devenir « zéro carbone » à l’horizon 2050. Le réseau de transports publics de Londres est l’un des plus étendus au monde. Composé principalement de lignes de métro et de bus, il est géré par la société Transport for London (TFL).

Plusieurs acteurs, majoritairement privés, sont présents dans l’écosystème de recharge londonien. En termes d’opérateurs publics, la société Source London est le premier réseau de recharge publique de la ville. Initialement issue d’un consortium d’organisations publiques et privées dirigé par Transport for London, elle est désormais détenue par IER (Groupe Bolloré). Côté privé, Polar, Charge your Car et Génie Point (Engie) sont les principaux acteurs qui se partagent les axes stratégiques de la ville.

De nombreux plans d’investissement ont d’ores et déjà été annoncés avec un premier palier à hauteur de 18 millions de livres, généré par Transport for London qui vise à installer 300 bornes de recharge rapide dans la ville.