L'enjeu incontournable des DSI en 2022
La prise de conscience de l’impact environnemental du numérique au sein des organisations est de plus en plus forte. A l’échelle de la France, le numérique représente 2% des émissions. Si rien n’est fait, ce poids pourrait plus que tripler pour passer à 7% d’ici 2040. A l’échelle de l’entreprise, de premiers benchmarks (INR et GreenIT) montrent que l’empreinte GES du numérique rapportée aux collaborateurs se situe dans une fourchette de 250 à 460 kg de C02 par ETP et par an (cliquer ici pour connaitre l’équivalent d’1 kg de CO2).
Dans le même temps, la DSI a déjà de nombreux défis devant elle : attirer les meilleurs talents, accompagner les métiers dans leur transformation numérique, être vecteur d’innovation, savoir tirer parti de la donnée, être garante de la cybersécurité et de la qualité de service, savoir s’adapter rapidement et maîtriser ses coûts.
La tentation pourrait alors être grande de reléguer la réduction de l’empreinte environnementale du numérique au second plan. Finalement, qui sera encore présent dans l’entreprise en 2040 et se souviendra des décisions non prises des années plus tôt ?
Il nous semble néanmoins important de traiter ce sujet comme un enjeu de premier ordre dès aujourd’hui. Cet article vise à expliquer les principales raisons et à délivrer les leviers d’action clés qui permettent de conjuguer réduction d’empreinte environnementale et performance de la DSI.
Pourquoi limiter l’empreinte carbone de la DSI ?
Réduire l’empreinte carbone de la DSI ne doit pas être vu comme une nouvelle injonction, mais comme une réelle opportunité d’apporter une réponse complémentaire à de nombreux enjeux déjà à l’agenda :
La plupart des grands groupes ont défini ou sont en train de définir une trajectoire de zéro émission nette de gaz à effet de serre à horizon 2030-2050. La DSI est un contributeur disposant de ses propres leviers. Pour atteindre ces objectifs d’entreprise, il faut donc démarrer maintenant et sur tous les fronts.
En étant plus frugal et plus efficient, on réduit l’impact environnemental par utilisateur. L’énergie la plus propre est celle qu’on ne consomme pas.
Les collaborateurs et les clients sont de plus en plus sensibles et soucieux de leur impact environnemental direct et indirect. Ils ont à cœur de rejoindre une entreprise ou d’acheter des produits d’une entreprise qui y est également attentive.
La règlementation va exiger de plus en plus d’implication des DSI sur le front environnemental. A titre d’exemple la loi REEN vise à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France (1). Elle impose des évolutions visant à limiter le renouvellement des appareils numériques, promouvoir des datacenters et des réseaux moins énergivores, favoriser des usages numériques écologiquement vertueux et faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique. Ces obligations ne pourront que se renforcer dans les années à venir.
Réfléchir sous contrainte pose un nouveau cadre qui nécessite d’amener des réponses en rupture avec l’existant. La contrainte liée à la limitation de l’empreinte environnementale amène à revoir profondément les habitudes et peut être source d’innovation (exemple : repenser totalement la conception des applications en s’appuyant sur des pratiques éco-responsables. Ou alors travailler avec ses fournisseurs pour mettre en place une économie circulaire autour de certains composants à forte valeur. C’est ce que fait Google avec les métaux précieux contenus dans les serveurs de ses datacenter.
Quels sont les leviers pour limiter l’empreinte carbone de la DSI ?
Les leviers à activer pour réduire l’empreinte carbone de la DSI sont souvent les mêmes que ceux qui visent à optimiser la performance économique et opérationnelle de la DSI. Nous les détaillerons un peu plus loin. Ce qui est nouveau en revanche, c’est :
- D’une part, la nouvelle dimension que l’empreinte carbone va donner à certains leviers avec un impact non seulement économique mais aussi environnemental (exemple : la réduction de la réplication des données d’une entreprise permet à la fois d’offrir un service moins cher, d’améliorer la qualité de la donnée et d’émettre moins de gaz à effets de serre) .
- D’autre part, le changement d’état d’esprit rend l’activation de certains leviers plus acceptables. Un exemple emblématique est l’allongement de la durée de vie des équipements. Le fait d’avoir en permanence le dernier modèle de téléphone mobile était auparavant un critère d’attractivité. Aujourd’hui ce qui rend l’entreprise attractive auprès d’un nombre croissant de collaborateurs est la possibilité de disposer d’un équipement réparable (ex. : Fairphone) ou de prolonger la durée de vie des équipements tant qu’ils sont en état de marche.
Ainsi, nous avons regroupé en 6 catégories les principaux leviers à activer pour réduire l’empreinte carbone de la DSI tout en améliorant sa performance.
- Mutualiser et harmoniser les demandes des métiers autant que possible et ainsi limiter le nombre de nouvelles demandes.
- Challenger les niveaux de services exprimés : adapter les niveaux de performance et de disponibilité des applications à leur niveau de criticité, les faire évoluer en fonction des besoins au cours d’une journée ou sur l’année.
- Limiter le développement de fonctionnalités non utilisées : financer dans un premier temps uniquement des MVP (Minimum Viable Product) et non des projets dans leur intégralité sur plusieurs années. Cela permet de vérifier l’impact et l’utilisation réels des fonctionnalités et de s’arrêter de faire de nouveaux développements lorsque l’optimum est atteint.
- Développer les nouvelles applications en utilisant les pratiques d’éco-conception. Cela nécessite de former et coacher les parties prenantes des projets à ces pratiques (développeurs, mais pas que !).
- Identifier les applications existantes ayant le plus fort impact environnemental pour évaluer le bénéfice qu’il y aurait à les optimiser. Intégrer cette nouvelle dimension dans les Schéma Directeurs SI pour construire une feuille de route d’évolutions des applications en regard des enjeux environnementaux.
- Analyser l’usage réel des fonctionnalités (en fonction des cas : à la maille du service, de la page, de la fonctionnalité) afin de fournir des critères de décision factuels aux directions métiers et ainsi décider de pérenniser ou non les services existants.
- Pour les applications « front » les plus visitées : utiliser un outillage permettant de mesurer les métriques d’éco-conception afin d’améliorer progressivement l’empreinte du service (sprint après sprint, évolution fonctionnelle après évolution fonctionnelle).
- Supprimer les historiques de données : trop anciennes (ex : celles ayant dépassé les limites d’obligations légales), redondantes et inutilisées.
- Changer les pratiques de distribution des données : limiter les données affichées de manière automatique (mode push) et rendre accessible le reste des données après une action spécifique de l’utilisateur (mode pull). Par exemple, n’afficher que les 10 résultats les plus pertinents d’une recherche et demander un « clic » supplémentaire pour accéder au reste des résultats.
- Réduire la réplication des données : évaluer l’opportunité de favoriser des « golden source » de données de référence. Cette action aura également comme effet d’en améliorer la qualité.
- Simplifier les modèles de données et ainsi réduire le nombre d’appels de données par application.
- Allonger la durée d’affectation des postes de travail et des téléphones mobiles aux collaborateurs : chercher à tendre vers a minima 6 ans de durée de vie, en attendant que l’écosystème des constructeurs permettent d’aller plus facilement au-delà, ne pas faire de renouvellement systématique.
- Limiter le nombre d’équipements par collaborateur : supprimer les PC fournis aux prestataires externes au profit d’un accès virtuel sur leur propre poste de travail (bureau virtuel VDI), favoriser les usages pro-perso pour les smartphones (ex. : COPE – Corporate Owned, Personally Enabled ou BYOD – Bring Your Own Device), remplacer les téléphones fixes par des softphones, ne pas systématiser l’attribution d’un second écran, favoriser la mutualisation des équipements.
- Eteindre les postes de travail en fin de journée.
- Sensibiliser et encourager les bonnes pratiques : remplacer les pièces jointes de mail par des liens vers des répertoires partagés, limiter l’usage de la vidéo lors des appels, limiter les données stockées et inciter à leur nettoyage, favoriser la connexion wifi (4).
- Choisir des hébergeurs / infogérants intégrant sérieusement les enjeux environnementaux dans leurs offres
- Considérer avec beaucoup de précautions les gains permis grâce à de l’achat « d’électricité verte » (PPA -Power Purchased Agreement-, GO -Garantie d’Origine-) : ce mode de reporting GES du scope 2 selon la méthode market based (allocation contractuelle basée sur les facteurs d’émissions du fournisseur d’électricité) n’est généralement pas très représentatif de la réalité physique de la production de l’électricité. La réalité physique est en revanche tangible lorsque la méthode location based (allocation géographique s’appuyant sur le facteur d’émissions global des pays) est utilisée.
- Limiter l’empreinte des infrastructures : mener les programmes de décommissionnement et de rationalisation IT, limiter le nombre d’environnements amont, utiliser les technologies de virtualisation performantes, mettre en veille les serveurs hors production en dehors des heures de travail, utiliser des disques durs bas débit.
- Migrer dans le Cloud tout en étant très attentifs à maîtriser l’effet rebond (6) ainsi que le niveau de réplication des données, et jouer sur les leviers « GreenOps ».
- Choisir des partenaires performants en matière d’empreinte carbone : intégrer la mesure des émissions de gaz à effet de serre (scope 1, 2, 3) dans les critères de choix des fournisseurs (de matériel, logiciel ou prestations de service), veiller aux politiques d’obsolescence pratiquées par ces fournisseurs.
- Choisir des partenaires pour reprendre, recycler et reconditionner les matériels usagés afin qu’ils soient réutilisables par des collaborateurs, des écoles ou des associations (ex : PC, téléphones).
- Déployer des modes de fonctionnement lean et agiles : faire la chasse au gaspi sur les principaux processus de la DSI, améliorer la productivité et la performance des équipes grâce à l’agilité à l’échelle qui amènent à des gains de performance de l’ordre de 20 à 30%.
- Favoriser le télétravail : réduire les km parcourus par les collaborateurs et prestataires, réduire le nombre de m² de bureaux et les services associés (entretien, cantine d’entreprise) ; tout en étant vigilant aux effets rebonds.
Bien entendu, pour évaluer et piloter l’impact de ces leviers, la DSI doit mettre en place les outils lui permettant de mesurer l’empreinte environnementale du numérique. Cette nouvelle dimension devra venir s’ajouter aux critères d’évaluation par la valeur qui permettent de décider du lancement d’un nouveau projet numérique.
C’est aussi cette évaluation qui libérera d’autres leviers plus disruptifs de réduction de l’empreinte numérique tels que la réduction des usages numériques, la frugalité des données collectées et stockées ou encore l’utilisation de low tech. En effet, c’est sur la base d’éléments factuels qu’un arbitrage au plus haut niveau pourra se faire. Les priorités devront émerger pour trancher entre des objectifs métiers, IT et environnementaux parfois contradictoires. Un chantier 2022 conséquent mais indispensable.