Les Services d’Incendie et de Secours ont depuis longtemps perçu l’apport du numérique et des innovations technologiques pour leurs métiers : certaines de ces innovations sont déjà au service de la performance de leurs missions opérationnelles. Le foisonnement d’expérimentations et d’initiatives numériques autour des SDIS est tangible : en témoignent l’augmentation du nombre d’appareils connectés, la multiplication des démarches Smart/intelligentes au sein des territoires et l’évolution technologique extrêmement dynamique en France sous l’impulsion des solutions apportées par les startups. Ce contexte invite les SDIS à définir des stratégies numériques au service de leurs métiers. Dans ce cadre une approche « Smart » peut être séduisante et prometteuse de réelles optimisations des missions des sapeurs-pompiers.
Mais qu’est-ce qu’un « Smart SDIS » ? Et surtout que peut-on en attendre ?
Les SDIS face à la nécessité de repenser certaines pratiques
Les SDIS font actuellement face, dans le cadre de leurs missions, à plusieurs enjeux qui interrogent leurs modes de fonctionnement. Citons en particulier l’augmentation subie des événements météorologiques, le besoin d’interopérabilité et de coopération entre acteurs de la chaîne de secours ou bien la croissance continue du volume et des canaux d’informations qui bousculent le travail quotidien des acteurs de la sécurité et du secours.
Le numérique constitue un formidable levier pour les SDIS afin d’apporter des réponses concrètes à ces enjeux, que ce soit pour protéger, apporter les secours d’urgences, prévenir et évaluer les risques… Les SDIS ont d’ailleurs déjà compris l’intérêt de mobiliser les nouvelles technologies au service de leurs missions, et le font de plus en plus. Pour aller plus loin, les SDIS ont également intérêt à expérimenter, mettre en place de nouvelles solutions technologiques et repenser leurs modes opératoires en conséquence. Les gains à capter sont multiples pour les SDIS : augmentation de la réactivité et de la fiabilité de leur réponse, facilitation de leur prise de décision, fléchage des moyens sur les besoins prioritaires, sécurisation des interventions, meilleure connaissance du territoire ou des requérants ou encore automatisation des tâches à faible valeur ajoutée.
L’opportunité, présentée ici, va au-delà d’une transformation numérique interne « classique » car elle questionne d’une part les doctrines du métier, sa performance opérationnelle et d’autre part la nature des coopérations développées avec l’écosystème en place. Elle interroge également la relation entre le SDIS et son territoire : il est question de trouver de nouvelles réponses aux enjeux opérationnels des métiers du SDIS en fonction de leurs spécificités propres et des caractéristiques de leurs territoire.
L’utilisation de drones ou de robots constitue un exemple d’innovation technologique permettant de nouveaux usages, facilitant l’aide à la décision (en particulier lors des actions de reconnaissance) et amenant à faire évoluer les modes d’intervention. La mise à disposition de plans 2D / 3D de certains bâtiments du territoire permet également de préparer les interventions des équipes et d’identifier les organes de sécurité, les accès et les parcours les plus rapides pour atteindre une zone sur laquelle intervenir. Un autre exemple réside dans la possibilité de s’appuyer sur des outils d’aide à la décision basés sur l’intelligence artificielle pour accompagner des équipes sur le terrain à suivre une procédure établie lors de situation de stress. Des coopérations avec des acteurs privés comme Waze peuvent aussi être envisagées (par exemple pour détourner plus rapidement un trafic automobile ou pour identifier plus rapidement le lieu d’un accident). Enfin, citons également les opportunités de s’appuyer sur les réseaux sociaux pour faire évoluer le système d’urgence et de réception des alertes et le rendre plus performant.
L’introduction d’innovations technologiques doit s’accompagner d’un bénéfice déterminant pour les SDIS. Le radar ci-après en montre le champ des possibles.
Vers une approche "Smart" ?
A l’instar d’un Smart territoire qui rend ses réseaux et services plus efficaces grâce au numérique, un Smart SDIS est un SDIS qui va utiliser les nouvelles technologies pour transformer en profondeur sa propre organisation, son rapport avec son écosystème, et améliorer ses modes de fonctionnement. Il s’agit là, non pas de mettre en œuvre telle ou telle innovation ou d’expérimenter quelques nouvelles technologies, mais bien de mettre en place une démarche globale d’apport de valeur et de transformation au service des missions du SDIS. Il s’agit de repenser les choses en s’appuyant sur l’effet de levier du numérique.
Ce qui permettrait de qualifier une démarche Smart SDIS relève en particulier des points suivants :
Coopération avec les partenaires et l’écosystème territorial : une démarche Smart SDIS permet au SDIS de développer de nouveaux modes de coopération afin de proposer de nouveaux services, de disposer d’informations plus fiables ou d’améliorer la coordination opérationnelle. Il s’agit de développer les synergies opérationnelles entre le SDIS, les partenaires habituels et l’écosystème territorial : à ce titre, le rapprochement avec les initiatives Smart sur son territoire permettra probablement de développer des partenariats prometteurs.
Nouvelles formes d’interactions avec la population et les requérants : alors que la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile pose la sécurité civile comme étant l’affaire de tous en intégrant en particulier une dimension autour de la sensibilisation des populations, il s’agit ici d’associer les citoyens et les entreprises du territoire afin de bien appréhender leurs besoins et modes de vie, ainsi que de mettre en place des dispositifs et services à destination des citoyens, par exemple, pour améliorer la connaissance d’une situation ou pour informer les citoyens d’une situation particulière.
Capacité d’hypervision, en temps réel, des événements et anticipation : il est nécessaire de se doter d’une capacité d’appui et aide à la décision complémentaire au service des équipes sur le terrain lors de leurs interventions (coordination déploiement, appui lors d’interventions, etc.). Cette capacité pourra, par exemple, s’appuyer sur un jumeau numérique du territoire s’appuyant sur le système d’informations géographiques et les outils de modélisation géographiques du SDIS. Ces outils pourront ainsi permettre de simuler certaines situations et anticiper certains événements impactant l’activité du SDIS.
Excellence autour de la donnée et de la connaissance terrain : l’enjeu est de disposer de jeux de données et d’une connaissance terrain la plus fiable possible afin d’optimiser les interventions, de mieux coordonner les équipes sur place voire de mener des actions en anticipation grâce à l’intelligence que les SDIS pourront développer grâce à ces données et aux possibilités permises par l’intelligence artificielle. Ces données et connaissances doivent permettre à la fois de développer la meilleure compréhension d’une situation depuis le centre de commandement mais également fournir aux acteurs du terrain les informations utiles pour agir vite, efficacement et en toute sécurité. La variété et richesse des données manipulées par l’ensemble des partenaires d’un SDIS est extraordinaire. Le partage et la mise à disposition de ces données permettrait d’en dégager une forte valeur, d’accroître l’efficacité opérationnelle des SDIS mais aussi d’aboutir à une logique gagnant-gagnant pour chaque acteur de l’écosystème. Différents types de données tels que des plans de bâtiments, des données des collectivités ou encore des données issues d’acteurs industriels pourraient être partagées, en temps réel et mis à jour régulièrement, et ce, au service des missions des SDIS.
Transformation des processus et des doctrines : une démarche Smart SDIS n’a de sens que si les acteurs opérationnels et fonctions support sont associés pour trouver des réponses et optimisations à des difficultés rencontrées. Il s’agit de réévaluer, à l’aune des opportunités numériques, les missions, les métiers, les organisations voire les doctrines à l’échelle nationale et, ce, en cohérence avec l’ensemble des acteurs.
Responsabilité écologique : une démarche Smart est par nature durable. La réflexion doit nécessairement intégrer une approche durable et devra permettre de trouver des solutions permettant de préserver l’environnement, d’optimiser les ressources
Se rapprocher de l’écosystème startups et des innovations numériques
La sécurité est l’affaire de tous ; l’écosystème des startups et l’essor d’initiatives diverses sont les témoins d’un environnement extrêmement dynamique. Dans cet environnement, chaque initiative mérite d’être analysée à la lumière de la valeur et des avantages qu’elle propose (appui aux missions opérationnelles, interopérabilité entre différents acteurs, sensibilisation de l’écosystème, etc).
Plusieurs initiatives ont été lancées et ont pour but d’optimiser les performances des équipes opérationnelles dans les interventions. A titre d’exemple, AUM Biosync propose des applications qui prennent en compte les rythmes biologiques afin de diminuer la fatigue et le désengagement des équipes opérationnelles. La plateforme digitale multi-usages d’identification et de réponse aux risques de Heropolis permet de modifier les procédures de sécurité face à une menace identifiée en fonction de son impact. NFSave propose une solution d’évaluation connectée pour les secours sous la forme d’un terminal embarqué qui permet de faciliter la saisie de bilan pour les acteurs impliqués. Afin de faciliter et optimiser l’obtention des données, IDUTag propose des autocollants comprenant un QR Code pour que les acteurs de la sécurité puissent accéder aux données médicales des victimes en cas d’urgence.
L’écosystème public n’est pas en reste sur ces innovations. L’application GEOLOC 18-112 (développée par plusieurs SDIS) est une innovation qui permet la géolocalisation des requérants et qui intègre depuis le mois d’avril 2020 l’AML (Advanced Mobile Location). La mise en place de la technologie Cell Broadcast permettra par ailleurs à partir de 2022 de mieux communiquer vers les populations d’une zone donnée. Citons également l’initiative Previsecours qui s’appuie sur un modèle prédictif des interventions afin d’anticiper les moyens opérationnels à mobiliser au sein des différentes casernes ou bien l’organisation d’un Hackathon Data Secours porté par la DGSCGC et la DNUM afin d’identifier comment valoriser la donnée au profit des services de secours d’urgence aux personnes.
Enfin de multiples initiatives permettent de sensibiliser et d’impliquer notamment les citoyens et les entreprises. Par exemple, LifeAZ propose, aux entreprises et citoyens, une plateforme qui a pour but de sensibiliser et d’apprendre la première approche des gestes qui sauvent. Dans le même état d’esprit, D’un seul geste propose aux entreprises d’améliorer l’apprentissage en réalité augmentée. L’application Staying Alive cartographie les défibrillateurs cardiaques recensés et propose la possibilité aux sauveteurs citoyens de s’inscrire et de pouvoir être appelés à intervenir en attendant l’arrivée des secours. Également, l’application Permis de Sauver permet de géolocaliser un réseau de secouristes volontaires bénévoles ainsi que différents moyens de secours.
Pour valoriser les initiatives les plus pertinentes, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et Atraksis organisent un concours « Prix de l’innovation Tech et Secours 2020 » mettant en avant les solutions d’entreprises innovantes en matière de gestion et distribution des secours (entreprises de moins de 50 salariés et associations). Les critères d’appréciation sont : le caractère innovant, l’apport réel pour les secours, le fort impact et bénéfice pour les acteurs du secours, le niveau de développement et de diffusion, le caractère utilisable et réplicable dans les services d’incendie et de secours et la facilité de mise en œuvre.
Le potentiel du numérique n’est pas encore exploité à sa juste mesure par les SDIS même s’ils ont globalement pris conscience du levier et de l’opportunité qu’il représente pour ses métiers. Le schéma ci-après définit différents paliers de maturité autour du numérique. La mise en place d’une démarche Smart SDIS correspond au palier de maturité le plus fort. Aujourd’hui, la plupart des SDIS sont au palier 2, certains au palier 3.
Nos convictions pour passer à l'échelle
Les SDIS agissent aujourd’hui de manière relativement autonome dans le cadre d’une organisation structurée par département. Les structures innovent toutes sur leurs territoires sans forcément partager leurs connaissances et leurs savoir-faire opérationnels. Cette spécificité organisationnelle ne permet pas toujours la coordination et la synergie des moyens et des ressources nécessaires aux métiers de la sécurité civile et de la gestion de crise. L’un des enjeux du Smart SDIS est d’améliorer cet état de fait et de dépasser ces contraintes.
Pour cette raison, le fait de développer une logique de coopération plus forte, basée sur la réciprocité des gains que chaque acteur pourrait en tirer, a du sens. Il serait ainsi intéressant de permettre et de faciliter le partage croisé des expériences et la valorisation des bonnes pratiques entre les différents acteurs de la chaîne de secours afin que chacun puisse en bénéficier et faire évoluer ses missions.
Pour fédérer les différents acteurs, le SDIS doit faire figure de force motrice dans le déclenchement d’une stratégie Smart puis s’ériger comme animateur de la démarche auprès de l’ensemble des parties prenantes de l’écosystème. Les apports d’une démarche Smart SDIS irrigueraient l’ensemble de l’écosystème d’acteurs dans une logique « gagnant-gagnant ».
Une évolution vers le Smart SDIS peut relever d’une approche résolument volontariste et transformante. Elle peut aussi faire l’objet d’une approche plus progressive. Les chemins sont à construire à la maille de chaque SDIS en réponse à des problèmes rencontrés et en fonction des spécificités de chaque SDIS. Les chemins sont multiples : approche centrée autour de la valeur apportée par NexSIS, mise en place d’une démarche d’innovation et d’expérimentation, mise en place d’une gouvernance Smart pour tirer parti des projets, etc. Enfin, le rythme de transformation est adaptable aux capacités de chacun et fonction de la maturité perçue sur chaque territoire. Tout le monde a à y gagner.
Des projets en cours d’unification et mutualisation au service des acteurs de la sécurité et du secours
Il existe aujourd’hui de nombreux projets en cours qui ont pour but d’optimiser, d’unifier et de mutualiser les bonnes pratiques au service des acteurs de la sécurité et du secours. A titre d’exemples :
- La mise en place d’un logiciel national et commun à l’ensemble des SDIS pour les centres d’appels d’urgence, NexSIS, déployé à partir de 2021, sera également une opportunité à saisir pour développer le Smart SDIS et contribuer à sa mise en place. Le futur système d’alerte et d’opérations permettra aux secours d’optimiser leur fonctionnement et d’améliorer l’interopérabilité des différents systèmes de services d’urgence.
Michel Monneret
Directeur de l'ANSC
NexSIS a pour objectif d’optimiser le fonctionnement des Services d’Incendie et de Secours grâce à des systèmes interopérables, plus ouverts et innovants et portants l’ambition de projeter l’ensemble des acteurs de la sécurité civile à l’ère digitale grâce à une plateforme numérique commune. L’apport de NexSIS sera précieux dans une démarche Smart.
- Le programme RRF (Réseau Radio du Futur) a pour ambition de fournir un système de communication de tous les services de sécurité et de secours français, en s’appuyant sur des choix technologiques innovants, alliant sécurité, flexibilité et évolutivité. Ce système proposera une nouvelle expérience plus en phase avec les besoins actuels et à venir de ceux qui nous protègent en apportant notamment une interopérabilité native, une couverture sans limite et des nouveaux usages.
- Dans le cadre de l’Agenda Recherche & Innovation 2021 piloté par la Mission de la Stratégie et de la Prospective (MSP) de la DGSCGC et afin de se focaliser sur la prospective et les services de secours de demain, le Club Prospective a été lancé et réunit différents acteurs de la sécurité civile sur la base du volontariat. Cette communauté a pour but de mobiliser les acteurs de la sécurité au travers d’échanges réguliers concernant des sujets d’avenir, de susciter l’innovation et de soutenir le développement des idées émergentes et bonnes pratiques et de partager et mettre en réseau l’ensemble des acteurs de l’écosystème autour de sujets fédérateurs.
- L’association Atraksis, créée en 2017, développe des synergies en rassemblant des acteurs de tous horizons, pour co-construire les secours de demain. Pour exemple, l’application E-SDIS Santé (en partenariat avec Anamnèse), s’appuyant sur l’intelligence artificielle, s’est révélée être un outil efficace utilisé par plusieurs SDIS pendant la crise COVID-19 pour faciliter la détection d’éventuels cas de contamination des personnels mobilisés sur le terrain.
- Enfin la Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers de France (FNSPF) met en place un groupe de travail dédié au développement de l’innovation pour les missions des SDIS.
Conclusion
Dans un environnement en mutation, les acteurs de la sécurité et du secours prennent déjà le pari de favoriser l’innovation numérique au service de leurs métiers. Les acteurs développent des solutions innovantes qui améliorent, à la fois, l’efficacité, la qualité et la sécurité du travail quotidien.
De nouvelles opportunités, au travers des innovations technologiques, doivent être saisies afin d’apporter une valeur ajoutée complémentaire pour les missions et les métiers des acteurs. S’engager dans un projet Smart c’est être prêt à refondre les processus métiers et repenser les modes de fonctionnement avec ses partenaires. C’est aussi mettre encore plus de cohérence dans l’action du SDIS et tirer pleinement parti du formidable potentiel devant nous.
Nous remercions tout particulièrement le Lcl Christophe POIRIER (Chef du Groupement des Solutions Numériques du SDIS 44) pour sa contribution et ses relectures.