Au cœur des préoccupations de l’Etat, de ses opérateurs et des collectivités territoriales depuis déjà de nombreuses années, la dématérialisation a été réaffirmée comme une priorité par le gouvernement à l’issue du 6ème Comité Interministériel de la Transformation Publique (CITP) : « permettre aux usagers, d’ici 2022, de réaliser en ligne les 250 démarches administratives les plus utilisées ». Si les initiatives ont été nombreuses au fil des années, elles se sont trop souvent limitées à la simple numérisation des formulaires existants sans réinterroger les démarches ni simplifier les parcours usagers. Pourtant, derrière la question de la dématérialisation des services publics, l’objectif final visait bien à cette simplification en profondeur. Alors comment changer la donne et apporter une vraie simplification aux usagers ?
Aller au-delà de la numérisation des démarches
En le libérant des contraintes de temps et de distance dans ses relations à l’administration, le seul passage d’un formulaire papier au numérique est perçu comme une simplification pour l’usager. Mais le numérique devrait permettre une simplification plus importante encore, en se fixant comme objectif premier de réduire la charge administrative pour les usagers, en intégrant le numérique dans une logique de parcours usagers, entièrement numérique ou associant le numérique et canaux traditionnels.
A quand la réduction de la charge administrative pour les citoyens ?
La manière la plus efficace de réduire la charge administrative pour les usagers est de supprimer la démarche (suppression de la déclaration pour la participation des employeurs à l’effort de construction grâce aux échanges de données entre administrations) ou de regrouper plusieurs démarches en une (la déclaration sociale nominative remplace une quarantaine de démarches et permet l’envoi automatisé des données depuis le SIRH de l’entreprise). Mais ces simplifications ont jusqu’à présent plus bénéficié aux entreprises qu’aux citoyens.
Plusieurs initiatives devraient prochainement servir la simplification pour le citoyen : la loi 3DS permet par exemple d’informer les usagers sur leurs droits, voire de leur attribuer des droits sans avoir besoin de faire la moindre démarche (dont plusieurs droits associés au RSA) ; le déploiement à plus grande échelle de Dites-le-nous une fois doit permettre de passer à une logique où les administrations justifient entre elles de la situation d’un usager, grâce aux données qu’elles détiennent, et sans fourniture de pièce justificative par l’usager. L’échange et la réutilisation de données entre administrations représentent un changement profond, tant technologique que culturel.
Il est incontournable de construire des parcours numériques de bout-en-bout pour les usagers
Pour simplifier, il est nécessaire d’adopter le point de vue de l’usager, ce qui signifie raisonner parcours et non formulaire.
Simplifier la vie de l’usager suppose en premier lieu de le guider tout au long de ce parcours, de l’orienter vers les bons acteurs en l’interrogeant sur son besoin, de l’aider dans la préparation et la réalisation des démarches. La simplicité du parcours repose sur quatre principes clés : la continuité (réutiliser les données de démarches précédentes), la proactivité (informer l’usager de la fin prochaine de ses droits), la personnalisation (réalisation d’une démarche sous forme de questions adaptées selon la situation exposée par l’usager), la simplicité du vocabulaire employé.
Des services numériques pour accompagner l’usager à chaque étape de son parcours
Orienter l’usager, c’est aussi lui donner la vue complète des différentes démarches à engager pour répondre à son besoin. C’est aussi lui permettre de gérer depuis un espace unique l’enchaînement de ces démarches en réutilisant les données des démarches précédentes.
Mettre le numérique au service de parcours reposant sur les canaux traditionnels
La ministre de la transformation et de la fonction publique a rappelé en février 2022 la nécessité de « laisser à chaque usager le choix de son mode de relation avec l’administration » : il est exclu d’imposer le numérique aux usagers, mais il faut améliorer le niveau de service rendu par les canaux traditionnels.
Regardons le numérique comme un moyen de mettre à disposition des agents d’accueil les fonctionnalités et données nécessaires pour prendre en charge les demandes et apporter des réponses personnalisées : saisie de demandes ou prise de rendez-vous par l’agent en présence de l’usager avec orientation automatique vers le service responsable, accès au statut des dossiers et à l’état des droits des usagers, édition et remise en main propre d’un justificatif de droits.…
Mais le numérique permet surtout d’offrir aux usagers plus de souplesse dans leur relation avec l’administration, grâce à l’hybridation des parcours. Le but est de garantir cohérence et continuité pour l’usager entre les canaux traditionnels et le numérique : cette approche « omnicanal » lui apporte la certitude qu’il aura la même réponse quel que soit le canal utilisé. Ceci nécessite d’homogénéiser les processus sur les différents canaux et de les outiller avec un système de gestion des demandes commun.
Les nouvelles technologies permettent enfin des progrès importants dans l’hybridation des parcours ; à titre d’exemples : le « web call back » permet d’être mis en communication quasi-instantanément avec un conseiller depuis le portail de services de l’administration, le « cobrowsing » permet à un usager d’être guidé à distance par un conseiller pour réaliser sa démarche en ligne.
Agir sur l’organisation et les systèmes d’information pour rendre la simplification tangible
Etendre la simplification aux processus internes
Dématérialiser les processus internes permet de tracer précisément les différentes étapes de la vie du dossier dans le système d’information, et donc de renseigner l’usager de manière plus précise sur l’état de sa demande et sur les prochaines étapes (inscription de son dossier à une commission, fin de validité de droits ouverts …). Sur des démarches avec des délais d’instruction élevés, cela nécessite de mieux « jalonner » le processus dans le système d’information et dans les remontées d’information à l’usager. Par ailleurs, une traçabilité plus fine dans le système d’information permet d’estimer un délai de traitement prévisionnel en fonction des caractéristiques du dossier, et de communiquer ce délai estimé à l’usager.
Cette dématérialisation doit être associée à un effort de simplification des interactions avec l’usager : de même que numériser une démarche complexe ne la rendra pas plus compréhensible, dématérialiser un processus compliqué ne le rendra pas plus simple. Le premier axe de travail est organisationnel : mise en place de nouveaux canaux, remise à plat de la démarche et des étapes du parcours usager, suppression de tâches sans valeur ajoutée usager. Le second axe de travail porte sur l’évolution du système d’information : gestion électronique des documents, signature électronique, automatisation de tâches industrialisable et répétitives sans valeur ajoutée humaine (automatisation de l’enregistrement d’un formulaire, vérification de l’éligibilité d’un dossier, envoi automatisé de demandes de compléments ou de notifications en masse…).
Décliner l’hybridation des parcours dans l’organisation : de l’accueil téléphonique à la plateforme multicanale
Assurer la prise en charge des demandes de manière cohérente quel que soit le canal choisi par l’usager est un objectif qui doit trouver une traduction dans l’organisation. Une des réponses réside dans l’évolution des services d’accueil téléphoniques vers de véritables plateformes d’accueil multicanales (téléphone, mail, formulaire, courrier …). Ce choix d’organisation permet de constituer une équipe centrale et professionnalisées pour sécuriser la cohérence des réponses aux usagers et fiabiliser l’orientation des demandes ; il permet également de mettre en place des processus d’orientation et de traitement homogénéisés selon la nature de la demande et non compartimentés selon le canal de sollicitation,
Ces « centres de relation usagers » multicanaux peuvent constituer le socle d’une véritable fonction transverse de supervision de la relation avec les usagers pour mettre en cohérence les processus internes, mettre en place des engagements de service, piloter la qualité de service, assurer la maîtrise d’ouvrage du « SI usagers ».
Garantir la modularité et l’ouverture des systèmes d’information
La modularité et l’ouverture sont essentielles pour transformer les services publics avec le numérique : réussir ce saut technologique est un défi majeur pour les administrations.
En premier lieu, les choix technologiques doivent permettre de faire évoluer à un rythme rapide les solutions techniques qui portent les canaux d’interaction avec les usagers, Ceci nécessite que les systèmes d’informations soient construits dans une approche modulaire, en différentes « couches » : le frontal qui gère les canaux, les services de traitement et d’exposition des données, les services de gestion des processus et des workflows, les services de gestion des données et règles de gestion métier. C’est un pré-requis pour améliorer en continu l’expérience usager et la personnalisation des services.
En second lieu, les choix technologiques doivent permettre de répondre aux besoins d’ouverture et d’échanges de données : pour permettre les échanges de données entre administrations (Dites-le-nous une fois), pour être plus souple dans l’accès aux services exposition de la même démarche en ligne sur différents portails usager avec application des mêmes règles de gestion), pour assurer la continuité du processus en cas de réorientation vers un autre acteur public. Cela signifie la mise en place d’architectures d’échange à base d’API et de web services, pour gérer des échanges qui reposent sur le temps réel en mode appel de service.
Un partage d’informations facilité par l’articulation entre les différentes couches du SI
Conclusion
Trop souvent, les mouvements de dématérialisation ou de numérisation n’ont pas eu l’effet vertueux de simplification des démarches administratives. Ce principe ne devrait pourtant jamais être perdu de vue pour éviter de reproduire la complexité de l’existant. Pour y remédier, certaines questions clés méritent d’être étudiées dans tout projet de dématérialisation :
- En quoi permet-il de réduire la charge administrative pour l’usager ou de simplifier le parcours de cet usager ?
- Quels sont les leviers possibles pour agir sur les processus, l’organisation et les SI ?
- Que faut-il faire bouger dans le cadre juridique pour permettre la simplification, comme l’a montré récemment la loi 3DS ?
Ces transformations sont complexes à mener car elles remettent en cause des habitudes, tant dans la nature des solutions recherchées que dans la manière de gérer ces projets : approche design thinking, recours aux méthodes agiles, écoute de la voix de l’usager… Elles nécessitent de pouvoir expérimenter pour valider le bien-fondé des réponses apportées et sécuriser le passage à l’échelle, et donc accepter le droit à l’erreur. Bref, la capacité à manager l’innovation est un incontournable. Pour qu’enfin la dématérialisation s’impose naturellement comme un vecteur de simplification.